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« Entraîner les Français dans une écologie qui ne soit ni contraignante ni punitive, mais accessible et populaire »

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François Moutot : Monsieur le Président, avant d’aborder les questions spécifiques à votre région, je souhaiterais aborder quelques questions d’intérêt général. La compatibilité d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre avec le maintien d’un haut niveau d’activité économique est souvent contestée et certains en viennent à préconiser une civilisation de la décroissance. Qu’en pensez-vous et dans quelle mesure considérez- vous que la France a la capacité de s’affirmer comme une nation à l’avant-garde des technologies vertes ?

Xavier Bertrand : Vous ne me trouverez pas dans les rangs des adeptes de la décroissance. Il est possible de marier économie et écologie, comme il est possible de faire adhérer les Français à une écologie qui soit accessible et populaire. À la Région, notre fer de lance pour marier économie et environnement, c’est Rev3, la mission autour de la troisième révolution industrielle pilotée par Philippe Vasseur. Mais ce n’est pas tout : la Région met en place des mesures accessibles, parce que la transition écologique, ce n’est pas interdire. Nous aidons la rénovation énergétique des logements pour les habitants, des bâtiments pour les PME et les TPE. Nous permettons aux personnes qui le souhaitent de convertir leur voiture au bioéthanol, ce qui est bon à la fois pour le portefeuille et pour l’environnement. La Région soutient le développement du photovoltaïque, notamment sur les friches industrielles ou les bâtiments agricoles ou publics. Nous participons aussi à l’installation de bornes de recharge pour véhicules électriques et je veux aussi que notre région soit aux avant-postes de l’utilisation de l’hydrogène.

Dans la lutte contre le dérèglement climatique, le secteur de l’énergie joue un rôle essentiel. Quelles actions sont entreprises dans votre région ?

Décarboner notre électricité est une priorité pour faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. C’est pour cela que la Région soutient le photovoltaïque, en participant au développement de fermes solaires, mais aussi en entrant au capital des projets avec la société d’économie mixte (SEM) Énergies Hauts-de-France. La consommation énergétique en Hauts-de-France, même si elle est spécifique en raison de son industrie (45 % des consommations énergétiques de la région), ne s’arrête pas à l’électricité : nous sommes également une région consommatrice de gaz et l’enjeu est de mobiliser toutes les sources de méthanisation pour une valorisation sur le réseau gaz.

Créé en juillet 2013, SAS METHA-TERNOIS est un groupement de six exploitations agricoles,
elle a pour vocation de récupérer le biogaz contenu dans les fumiers, les lisiers et tout autre
effluent biodégradable venant d’industries agroalimentaires.
© Dominique Bokalo/Conseil régional Nord Pas de Calais-Picardie

Plus globalement, quelle est votre vision du futur énergétique pour la région Hauts-de-France ? Pensez-vous qu’elle a la capacité de devenir neutre en carbone et de satisfaire sa propre consommation à l’horizon 2050 ?

Dès notre arrivée à la tête de la Région, j’ai souhaité amplifier la dynamique Rev3, troisième révolution industrielle mise en lumière par Jeremy Rifkin. Pour aller plus loin dans la transition énergétique, dans la transition numérique, et aussi dans de nouvelles activités décarbonées qui créent des emplois. Nous sommes au-delà des 1 200 projets Rev3 soutenus. La Région a aussi adopté un mix énergétique qui combine à la fois nucléaire et énergies locales durables.

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En ce qui concerne l’éolien, notre région a déjà trop largement contribué et je l’ai déjà dit : trop, c’est trop ! Quand on voit que des promoteurs ne respectent pas la proximité des sites de mémoire et les phénomènes d’encerclement de certains riverains, le développement n’est plus possible. C’est pour cela que j’ai proposé que, pour tout projet éolien, il y ait la possibilité d’avoir un référendum qui serait décidé soit par la commune, soit par le département, soit par la région.

Plusieurs régions, en réponse aux incitations du gouvernement, sont prêtes à investir massivement dans l’hydrogène. Avez-vous arrêté une politique au niveau de votre région ?

Je suis convaincu du potentiel de l’hydrogène et de son importance dans la transition énergétique. La Région a souhaité s’investir dans le développement de l’hydrogène décarboné et nous voulons devenir à terme un acteur national et européen important du secteur, principalement dans l’industrie, le bâtiment et les transports. Nous avons adopté une feuille de route pour le développement de l’hydrogène et notre région est déjà pionnière avec la mise en service de six bus à hydrogène à Bruay-la-Buissière en plein coeur du bassin minier, une première en France.

Vous avez mis en place le Fonds régional d’amplification de la troisième révolution industrielle (FRATRI) que nous percevons comme un dispositif opérationnel de déclinaison au niveau régional de la politique Climat Air Énergie. Pouvez-vous nous indiquer quelles en sont les orientations principales et les premiers résultats ?

Le Fonds régional d’amplification de la troisième révolution industrielle (FRATRI) s’inscrit dans le cadre de notre partenariat avec l’ADEME. Chaque année, nous mobilisons chacun environ douze millions d’euros pour accompagner l’efficacité énergétique dans le bâtiment et appuyer la filière autour de rénovations, avec l’usage des matériaux bio-sourcés et l’intégration des EnR au bâti. Cela permet également d’accompagner les technologies d’énergies renouvelables, les solutions de stockage et les réseaux énergétiques intelligents. Enfin, il soutient le développement de l’économie circulaire et des mobilités décarbonées – électriques, Gaz naturel pour véhicule (GNV) et hydrogène. Au total, ce sont plus de 200 projets qui sont accompagnés chaque année.

Concernant le déploiement des énergies renouvelables électriques, pensez- vous qu’il subsiste dans les Hauts-de- France un potentiel important exploitable ? Quel est votre avis sur l’autoproduction et êtes-vous prêt à encourager la constitution de communautés locales ou citoyennes d’énergie ?

Il existe un potentiel énorme de développement pour le solaire, il n’y a qu’à regarder nos voisins belges ou anglais pour comprendre que ce n’est pas un problème d’ensoleillement qui limite le développement des installations, mais plutôt un problème de modèle économique. Nous avons sollicité la Commission de régulation de l’énergie pour faire évoluer les appels d’offres et tenir compte de la moindre rentabilité dans les régions situées dans le versant nord du pays, mais nous n’avons pas été entendus. Nous continuons malgré tout d’encourager le développement du solaire, au travers du soutien à l’autoproduction et l’autoconsommation solaire. Notre rôle est bien d’être chef de file sur le sujet et de participer à l’animation afin de contribuer au développement de centrales solaires photovoltaïques collectives et citoyennes.

23 installations de la plateforme solaire de Loos-en-Gohelle d’une puissance totale de 60 KWc.
© Dominique Bokalo/Conseil régional Nord Pas de Calais-Picardie

La région Hauts-de-France possède la plus grande centrale nucléaire de France à Gravelines. Afin d’en faire un vecteur de croissance, votre région a mis en place le Programme d’accompagnement des entreprises régionales sur le marché du nucléaire civil (NUCLEI) . Pourriez-vous nous en dire plus ?

C’est une action portée par la CCI, dans le cadre du développement des filières marché de la Cap Industrie (groupement de partenaires intervenant sur la filière mécanique métallurgie : UIMM, CETIM, CCI, Fédération des industries mécanique) et cofinancée par EDF.

Nucléi permet de structurer la filière nucléaire régionale (depuis 2010), en accompagnant les entreprises dans leurs qualifications pour accéder à des marchés, organiser des événements avec les grands donneurs d’ordre européen. Près de 130 entreprises sont identifiées et accompagnées.

Votre région s’associe à la promotion de la rénovation énergétique des logements à travers notamment les Espaces info énergie. Pensez-vous aller plus loin pour accompagner les Français dans le bon choix des gestes de rénovation ?

Dans notre Programme régional de l’efficacité énergétique, nous avons lancé depuis septembre 2019, sous la forme d’appels à projet, les guichets uniques de l’habitat qui assurent une mission d’accueil, d’information et de conseil auprès des habitants sur la rénovation énergétique des logements et auprès des professionnels du bâtiment et du secteur bancaire. L’objectif est d’avoir un lieu unique, à côté de chez vous, pour vous accompagner dans vos démarches. Ils couvrent près de 50 % de la région et l’objectif est d’atteindre 100 % en 2021.

En particulier, les Hauts-de-France distribuent des aides à la rénovation énergétique des logements privés. Comment fonctionnent-elles ? Quels en sont les résultats ? La Région entend- elle accentuer son soutien financier ?

Plus de 3 200 aides ont été attribuées directement par la Région, cela représente un gain énergétique de plus de 50 % pour les logements concernés. Pour notre région, ce sont 76 millions d’euros générés, qui permettent de faire travailler nos artisans locaux. Mais nous voulons aller plus loin, en visant une rénovation énergétique globale des logements. Une plateforme a été mise en place sur le site de la Région, avec des démarches simplifiées. La totalité du versement des aides peut se faire avant le démarrage des travaux, pour sécuriser les projets des bénéficiaires mais aussi les entreprises qui peuvent démarrer plus rapidement les chantiers.

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Parlons à présent transports : selon la loi d’orientation sur les mobilités, « La région est l’autorité organisatrice de la mobilité régionale ». Comment la région Hauts de France entend- elle exercer cette responsabilité ? Avez-vous une politique de développement de la mobilité électrique et des bornes de recharge en particulier ?

La Région est compétente pour gérer la mobilité des habitants au sens large : les TER, les cars interurbains et les cars scolaires, comme le covoiturage et l’autopartage. Notre priorité est de faire sauter tous les freins à la mobilité : pour que chaque habitant puisse vivre, travailler, étudier là où il le souhaite.

Nous nous battons pour maintenir toutes nos lignes TER, même si cela nous amène au bras de fer avec la SNCF. Nous menons également des études sur la conversion des trains au bioGNV pour certaines lignes. L’aide au transport de la Région, de 20 euros par mois pour celles et ceux qui vont au travail en voiture, bénéficie aussi aux personnes qui font du covoiturage. Par ailleurs, nous avons aussi inclus dans les appels d’offres pour les cars interurbains des critères environnementaux et une incitation à l’utilisation d’énergies propres, comme l’électricité ou le bioGNV.

En ce qui concerne l’électrique, la Région est engagée de longue date du fait de l’importance de la filière automobile régionale : nous avons près de 3 000 points de charge dans la région.

Enfin, une question sur l’industrie qui était historiquement un des points forts des Hauts-de-France. Cette industrie nous a quittés mais nous en réimportons les produits et avec eux une empreinte carbone considérable. Pensez-vous qu’il soit possible de faire revenir tout ou partie de ces activités mais sans le carbone qui accompagne aujourd’hui les produits, en Chine ou ailleurs ?

L’histoire de la région est liée à son industrie, son avenir aussi car c’est sa vocation. L’industrie automobile emploie 55 000 salariés, le ferroviaire près de 15 000, nous avons des leaders dans l’agro-alimentaire, la pharmacie ou l’aéronautique. Nous travaillons à développer l’industrie du futur. C’est le projet de gigafactory avec PSA et Saft pour la fabrication de batteries. Avec les autres collectivités, nous avons mis 121 millions d’euros sur la table, parce que ce projet va créer des milliers d’emplois. C’est à la fois conforter notre leadership industriel, tout en prenant en compte la protection de l’environnement.

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Monsieur le Président, nous arrivons au terme de nos échanges, que souhaiteriez dire aux lecteurs d’Edenmag en titre de conclusion ?

Qu’il est possible d’entraîner les Français dans une écologie qui ne soit ni contraignante ni punitive, mais accessible et populaire. Que l’on peut décarboner, marier économie et écologie sans contraindre, mais en accompagnant les deux et mettre ainsi en oeuvre une économie durable, locale, qui profite à l’environnement et au pouvoir d’achat des habitants de la Région.

Jean-Luc Laborde
Entretien réalisé par François Moutet
délégué aux affaires régionales Équilibre des Énergies
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