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Le rôle des politiques européennes pour décarboner le transport routier

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En juin 2022, les décisions successives du Parlement puis du Conseil européen entérinaient la fin de vente des moteurs thermiques pour les voitures particulières d’ici 2035. Cette décision est historique et, malgré le scepticisme de certains, fixe un cap désormais irréversible pour l’ensemble des filières automobiles en Europe : 100 % zéro émission, conformément aux objectifs climat du Green Deal.

Si elle semblait irréaliste il y a quelques années, cette législation draine aujourd’hui une dynamique d’investissements industriels inédite. Et cela, précisément parce qu’elle donne de la visibilité aux investisseurs. En France, ce sont quatre projets de « gigafactories » qui sont ainsi aujourd’hui avancés dans les Hauts-de-France, donnant à voir concrètement les tenants d’une réindustrialisation du territoire.

Ce texte sur les émissions de CO2, à portée symbolique, n’est qu’un des nombreux textes du paquet Fit For 55 (une cinquantaine au total), qui vise à réduire les émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030. Cette législation a la capacité de transformer l’économie des pays de l’Union, à condition d’être portée par les États membres et soutenue par une haute ambition environnementale.

La réglementation européenne est le principal moteur de la réduction des émissions des véhicules depuis les années 90

Rappelons pour commencer l’importance des normes européennes dans l’évolution du secteur automobile depuis la fin des années 90. Les normes Euro sur les émissions de polluants atmosphériques, depuis leur introduction en 1992, ont régulièrement renforcé les limites d’émissions d’oxydes d’azote (NOx) et de particules fines et ont permis leur réduction. Ces réglementations ont poussé les constructeurs automobiles à investir dans de nouvelles technologies (filtres à particules, systèmes de recirculation des gaz d’échappement, par exemple) et à réduire les consommations de carburant. Les émissions de NOx des véhicules particuliers ont diminué de plus de 70 % entre 1990 et 2016, tandis que celles de particules fines ont diminué de plus de 80 % (Agence européenne pour l’environnement). Un bénéfice net pour la santé des citoyens, même lorsque ces normes demeurent insuffisantes. Même si l’histoire nous enseigne que ce sont bien les normes qui permettent des avancées concrètes, la lutte contre la pollution de l’air reste un combat, comme en témoigne le débat actuel sur les normes Euro 7.

Autre exemple, le renforcement des normes sur les émissions de CO2 qui, couplé au changement de protocole d’homologation des véhicules (de NEDC au WLTP1), a permis une baisse significative du niveau d’émission moyen et soutenu le virage vers l’électrique.

La voiture est aujourd’hui le premier mode de déplacement des citoyens européens et la principale source d’émissions de CO2 du secteur des transports (53 %). Le rôle de l’industrie automobile est donc central.

Au-delà du secteur automobile, la réglementation européenne vise à transformer l’écosystème mobilité

Les lois du paquet Fit for 55, acte fort de ce mandat européen, permettent de voir plus large et devraient accélérer la transformation des mobilités et du paysage énergétique en général : règlement sur les batteries ou encore sur les infrastructures de recharge (AFIR), plan de réduction de la dépendance aux matières critiques (Raw Material Act). La réglementation européenne couvre les différents pans de l’écosystème mobilité pour les orienter vers la décarbonation. Le secteur des transports est largement couvert, y compris via l’utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime (FuelEU Maritime) et via l’accord ReFuelEU dans le secteur aérien. Sans compter les textes sur la taxonomie, les énergies renouvelables, les mécanismes d’ajustement aux frontières ou encore le Fonds social pour le climat qui aura vocation à financer l’accompagnement des entreprises et des ménages vulnérables.

En plus des normes, l’industrie a besoin d’une stratégie assumée pour faire face à la concurrence internationale

Les normes sont indissociables des politiques de soutien à l’investissement. Dans ce contexte, le gouvernement français a annoncé en mai quelque 13 milliards d’investissements dans l’industrie verte, éoliennes, pompes à chaleur, batteries, panneaux solaires. Ces investissements sont liés à l’évolution de cette politique européenne et aux aides d’État notamment. Elles sont un véritable atout pour la décarbonation de la mobilité.

Cette dynamique sera-t-elle suffisante pour faire face à la concurrence chinoise et américaine ? Le projet de règlement européen pour une industrie zéro-émission (Net- ZIA), proposé en mars par la Commission, peut jouer un vrai rôle s’il favorise l’intégration de la chaine de valeur et favorise des règles du jeu plus équitables entre les pays. En bref, pour faire face à l’IRA américain et favoriser l’industrie verte, nous avons besoin de plus d’Europe.

Les États, relais indispensable des règles européennes, auprès des entreprises comme des citoyens

La réglementation européenne n’existe que par la volonté et l’engagement des États membres en sa faveur. Le récent épisode de contestation allemande sur l’objectif 100 % zéro émission en 2035 illustre bien ce qui fait à la fois la force et la faiblesse des décisions à cette échelle.

Alors que la décision semblait actée, en mars 2023, l’Allemagne, poussée par des velléités politiques internes, est revenue sur sa décision et a exigé d’introduire dans le futur règlement la possibilité d’utiliser des e-fuels au-delà de 2035. Sans remettre en cause l’objectif d’un marché automobile 100 % zéro émission en 2035, définitivement acté le 25 mars dernier, cet épisode a alimenté la confusion dans le débat public.

Après cet épisode, la crédibilité de l’Europe en matière de climat est entre les mains des États. Ce sont eux qui doivent s’engager pleinement dans la mise en oeuvre concrète de l’accord sur les voitures zéro émission pour 2035 avec :

  • un soutien à la filière industrielle et aux services ;
  • un accompagnement des ménages dans la conversion vers l’électrique et au changement de pratiques, à travers notamment la fiscalité des flottes, les aides à l’achat, l’orientation de la production vers les petits véhicules, le leasing social, etc.

Les bénéfices attendus du Green Deal sauront, espérons- le, motiver les États : si la législation européenne sur le climat est mise en oeuvre de manière efficace et en temps voulu, les avantages potentiels, selon un rapport récent de Strategic Perspectives2, pourraient être majeurs d’ici 2030 :

  • réduction des dépenses d’énergie et de carburant dans le budget des ménages de 8,6 % en 2022 à 6,1 % ;
  • réduction des prix moyens de l’électricité de 7 % ou encore création de 475 000 emplois nets.

Pour les États, les réglementations environnementales européennes, loin d’être des contraintes, sont avant tout des opportunités économiques et géopolitiques.

1) WLTP : Worldwide Harmonized Light Vehicles Test Procedures.
2) “Turning the European Green Deal into reality”, 16 mai 2023, https://strategicperspectives.eu/

Marie Chéron
Marie Chéron
responsable Politiques véhicules T&E
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