La France s’est engagée à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Les Pays de la Loire partagent-ils un objectif similaire à l’échelle de son territoire ? Pouvez-vous nous préciser quelles sont ses priorités et sa feuille de route ?
Christelle Morançais : La neutralité carbone est inscrite dans nos objectifs régionaux, mais la question qui se pose, et elle n’est pas réductible à la seule échelle régionale, c’est : en sommes-nous réellement capables ? Ou, plus exactement, nous donnons-nous collectivement – j’entends les collectivités, l’État, l’Union européenne, le monde économique et chacun de nous – les moyens de l’atteindre ? Je suis très marquée par les conclusions du rapport remis par Mario Draghi à la Commission européenne, et par les besoins d’investissements – de l’ordre de 800 milliards d’euros par an – qu’impliquent les transitions à l’œuvre, qu’elles soient écologiques ou numériques. Et force est de constater que le compte n’y est toujours pas ! Ce qui se joue est essentiel, c’est la capacité de transformer ces défis en opportunités de croissance durable et de créations d’emplois, et, a contrario, de ne pas les subir. La transition écologique recèle un impératif catégorique : réduire rapidement notre empreinte carbone, mais aussi et surtout, une chance d’inventer un nouveau modèle de développement, qui soit à la fois fondé sur la croissance économique et le respect de l’environnement. À la Région, c’est dans cette dynamique que nous essayons d’agir.
Vous avez fait de la transition énergétique une grande cause régionale. Mais il faut évidemment que cela se traduise par des actions dans chacun des secteurs. Quelles sont vos lignes directrices d’action dans ces domaines ?
C. M. : La formation professionnelle est au cœur de la compétence des Régions. Notre priorité, c’est donc, d’abord, de former aux métiers de demain, et notamment dans le domaine des énergies, qui est à ce point vital pour la souveraineté de notre pays, pour la protection de notre environnement, pour le pouvoir d’achat des consommateurs. Nous avons bâti, avec le rectorat et un consortium puissant d’entreprises du territoire, les fondations d’un nouveau « Campus des énergies durables », dont la vocation sera, dès 2025, de promouvoir et de former aux métiers de demain, depuis le lycée, et notamment le lycée professionnel, jusqu’à la formation continue. Il y a une vraie « bataille des compétences » à mener pour mieux accompagner les transitions et se projeter vers des métiers qui, pour certains, n’existent pas aujourd’hui.
Nous avons noté que l’écomobilité était également en tête de vos préoccupations. Concrètement, comment cela se traduit-il ?
C. M. : La première politique écologique de la Région, ce sont les transports, et notamment le déploiement de nos TER. Nous sommes la région de France qui a connu le plus grand « boom » de nouveaux usagers du TER, et c’est évidemment une excellente nouvelle ! Nous investissons massivement pour entretenir nos lignes, car l’État a transféré aux Régions un patrimoine ferroviaire en très mauvais état, et nous ouvrons, au fur et à mesure, notre réseau TER à la concurrence pour provoquer le choc d’offre susceptible de répondre à la demande, sans ruiner la collectivité.
Nous développons également d’autres modalités de déplacement, comme le covoiturage ou le transport à la demande au profit des territoires moins bien desservis. Nous travaillons également à un « pass unique de transport » qui permettra aux usagers d’emprunter les réseaux régionaux et urbains avec le même titre. Tout est fait pour encourager des modes de déplacement à la fois écologiques mais aussi soucieux du bien-être et de la qualité de service des usagers.

© région Pays de la Loire
Sous votre impulsion, les Pays de la Loire veulent pleinement participer à la politique d’électrification de l’économie. Comment voyez-vous l’évolution des moyens de production d’électricité dans la région ?
C. M. : Nous sommes une région qui a su conserver une industrie forte. L’enjeu de l’électrification est donc absolument majeur pour nous. L’équation est assez simple sur le papier : il faut produire mieux – de l’électricité verte – et produire plus, beaucoup plus, si l’on en croit les prévisions de consommation à court et moyen terme.
Je crois profondément à la cohérence du mix nucléaire/renouvelables, qu’il faut optimiser et pousser au maximum de ses capacités. Nous sommes la région qui a accueilli le 1er parc éolien en mer, au large de Saint-Nazaire, notre Grand Port Maritime a réalisé des investissements colossaux.
En parallèle de l’électrification, la mobilisation et la valorisation de la biomasse constituent un pilier de la transition énergétique dans les Pays de la Loire. Quelle est votre stratégie ?
C. M. : Nous avons la chance d’être une région profondément agricole, marquée par une prédominance de l’élevage. Cela nous donne une formidable occasion d’agir en faveur d’une méthanisation qui soit un modèle vertueux sur le plan énergétique et une possibilité de revenus complémentaire pour nos exploitations agricoles.
Je ne peux évidemment pas parler biomasse sans évoquer le cas de Cordemais. Depuis 3 ans, je dis qu’il ne faut pas tout miser sur « Ecocombust » et qu’il faut réfléchir à des projets alternatifs. L’histoire me donne malheureusement raison. Pourquoi le gouvernement a-t-il relancé le projet en 2022, alors qu’EDF le considérait comme n’étant pas viable ? Je ne me l’explique pas… J’ai dit au pdg d’EDF que je souhaitais que soit étudiée ma proposition d’implantation d’un SMR et, au-delà, que l’on se penche sérieusement sur d’autres pistes dans le domaine énergétique, notamment. 2027, c’est la fin du charbon. Il faut une alternative robuste d’ici là. Le temps presse…

La Région s’est beaucoup mobilisée pour soutenir le développement de l’hydrogène. Les résultats sont-ils à la hauteur de vos attentes ? La disponibilité en biomasse permet-elle d’envisager des projets pour la fabrication de carburants de synthèse ?
C. M. : Notre économie, notre industrie est face à un défi exceptionnel. Un défi qui impose de nous réinventer – et c’est ce que nous faisons en Pays de la Loire, en soutenant l’innovation dans l’hydrogène. Mon objectif est d’accompagner la décarbonation, en favorisant l’émergence d’alternatives au gaz et aux hydrocarbures en général.
La force de notre Région, c’est notre écosystème entre Terre et Mer, qui nous permet de disposer de ressources agricoles ou maritimes uniques afin de produire des carburants de synthèse. C’est d’ailleurs l’un des axes forts de décarbonation pour le Grand Port Maritime de Nantes-Saint-Nazaire. Avec des projets tels que Go CO2 qui vise à la captation des émissions produites par Lafarge et Lhoist, et leur transformation en e-carburant par électrolyse et hydrogène vert, nous aurons demain l’un des territoires les plus précurseur en la matière !
Hier l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, aujourd’hui l’aéroport de Nantes, la place du transport aérien et son intérêt pour l’attractivité économique continuent à être un sujet de controverse. Comment vous positionnez-vous dans ce débat ?
C. M. : Je n’accepte pas cette situation, qui est une humiliation pour notre territoire. Où en sommes-nous 6 ans après l’abandon de Notre-Dame-des-Landes ? L’appel d’offres de la nouvelle concession a été abandonné sans que l’on sache vraiment pourquoi, quelques maigres travaux ont certes été menés depuis, mais l’état général de l’aéroport reste une honte pour la Région. J’ai dit au ministre des Transports que je ne lâcherai rien : je veux développer et moderniser l’aéroport, et que les engagements pris soient enfin respectés.
On réalise que la transition énergétique demande un effort d’investissement considérable. Voyez-vous une manifestation tangible au niveau de la Région des efforts que l’État et l’Europe déclare vouloir faire ? Existe-t-il des voies de progrès pour utiliser plus efficacement les crédits publics ?
C. M. : On voit clairement une massification des aides publiques en ce domaine. Mais chaque collectivité territoriale y va de son propre dispositif, se superposant aux aides européennes ou autres appels à projets de l’État. La réalité est que ce modèle français de mille-feuille administratif ne fonctionne pas. C’est un système de doublons, qui produit du gâchis de la dépense publique, qui complexifie la lisibilité de nos politiques publiques, et ralenti considérablement la bonne mise en œuvre de tous ces projets. Il faut avoir le courage de renverser la table.
La COP régionale a été l’occasion d’échanger sur la question de l’adaptation au réchauffement climatique. Les Pays de la Loire se préparent-ils au changement climatique, à la hausse des températures et du niveau de la mer ?
C. M. : Oui, comme tous les territoires, nous devrons faire face à d’importants bouleversements liés au changement climatique. Notre façade littorale nous rend d’ailleurs assez vulnérable en matière d’érosion des sols ou de montée des eaux. Un des enjeux principaux que je porte, c’est l’adaptation de notre agriculture, confrontée à l’alternance entre périodes de sécheresse et de pluviométrie exceptionnelle. Si l’on veut encore une agriculture nourricière demain, il nous faut dès à présent travailler avec l’ensemble des filières pour davantage d’innovation, de technologie, de diversification de nos modèles de production.