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La deuxième électrification de la France est lancée !

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Après cinq années passées à la présidence du directoire d’Enedis, pouvez-vous nous dire quelles sont les forces et les faiblesses du réseau de distribution électrique français ?

Marianne Laigneau : Je souhaite tout d’abord rappeler que le réseau de distribution d’électricité n’appartient pas à Enedis, mais aux collectivités locales. En tant que service public, nous assurons la gestion, l’exploitation et également les investissements du réseau. C’est ce qui permet à la France d’avoir l’un des meilleurs niveaux de qualité électrique, avec une électricité disponible 99 % du temps pour ses habitants.
La première force du réseau, c’est le système de péréquation, unique en Europe, qui permet à tous les clients, où qu’ils habitent, de bénéficier des mêmes conditions financières et techniques d’accès au réseau. La seconde, c’est qu’Enedis est un acteur de dimension nationale et à fort ancrage territorial. Cela nous permet de piloter des projets d’envergure, comme le déploiement massif des compteurs Linky entre 2015 et 2021, et de répondre aux enjeux locaux, avec 700 sites en France. Enfin et surtout, la force du réseau, ce sont ses femmes et ses hommes, les 41 000 salariés d’Enedis, mobilisés 7 jours sur 7 pour assurer leur mission essentielle, accompagnés pas les acteurs industriels de la filière des réseaux.
Et enfin, quatrième force, le réseau de distribution est un réseau de plus en plus « intelligent » : pour la troisième fois consécutive, Enedis occupe la première place du Smart Grid Index, établi par Singapore Power Group, avec une note globale de 98,2 %. Ce classement évalue 92 opérateurs dans 36 pays selon des critères d’excellence technologique et opérationnelle. Dès 2020, nos salariés ont placé la transition écologique au coeur de l’ambition du « Projet Industriel & Humain » d’Enedis, notre projet d’entreprise. En tant qu’entreprise à mission depuis 2023, nous entendons avancer de manière responsable sur tous les sujets environnementaux, sociaux et sociétaux. Cela se concrétise par exemple par une feuille de route RSE partagée avec nos partenaires industriels et nos prestataires de travaux autour de la santé, de la sécurité et de l’environnement.
Face au changement climatique, notre plus grand défi est d’adapter le réseau, de le rendre plus résilient face à des aléas climatiques de plus en plus fréquents et de plus en plus intenses. Pour y répondre, Enedis s’est engagée notamment dans une planification écologique territorialisée, en lien avec les acteurs publics et les entreprises de services essentiels.

À l’horizon 2050, le projet de Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit que l’électricité représente plus de la moitié (54 %) des consommations d’énergie en France, contre environ 27 % aujourd’hui. Enedis est-il prêt à accompagner une telle croissance ?

M. L. : Cette croissance, ce développement des nouveaux usages de l’électricité, nous l’appelons chez Enedis la seconde électrification de la France. Nous faisons face à une hausse significative de notre activité et de nos investissements (96 milliards d’ici 2040 en euros constants 2021), et ce, à tous les niveaux : énergies renouvelables, mobilité électrique et flexibilités.
Cela nécessite d’accroître notre performance opérationnelle : faire mieux et plus. C’est le sens de notre programme interne d’optimisation intitulé « Réussir la croissance responsable ».
Enfin, rien ne peut se faire sans la mobilisation de la filière industrielle des réseaux. Ainsi, nous travaillons main dans la main avec nos fournisseurs de matériels de réseau – transformateurs, câbles, postes de transformation électrique, etc. – pour anticiper nos besoins massifs : 43 000 recrutements d’ici 2030 pour l’ensemble de la filière des réseaux électriques. Nous leur donnons de la visibilité et nous engageons contractuellement sur la durée avec, à la clé, de nouvelles usines en France et des embauches qui participent à la réindustrialisation du pays.
Notre expertise industrielle s’accompagne d’importants moyens dédiés à la formation pour renforcer les compétences de nos salariés. En 2025, nous recrutons 3 380 techniciens, dont plus de 1 000 alternants, pour se préparer dès maintenant aux métiers de demain. Notre campagne de recrutement s’accompagne aussi de la montée en puissance progressive des « Écoles des réseaux de la transition énergétique », lancées en 2023 avec l’Éducation nationale et notre filière. Aujourd’hui, 151 lycées professionnels sont engagés.
Notre engagement dans la formation, l’insertion, le sens de notre activité font qu’aujourd’hui Enedis est plébiscitée par ses salariés dans les classements : nous sommes la première entreprise du secteur de l’énergie dans le classement Capital des 500 entreprises les plus appréciées par leurs salariés et 4e entreprise dans le classement HappyTrainees auprès des alternants.

Drone d’inspection de lignes aériennes.
© Abib Lahcène

On entend souvent dire que les gestionnaires de réseau sont confrontés à un « mur d’investissement ». Le projet de PPE 3 évoque, pour le réseau de distribution, un montant de 96 milliards d’euros d’ici 2040 pour Enedis. Le financement en pèsera sur les utilisateurs. La compétitivité de l’électricité risque-t-elle de s’en ressentir ?

En France, l’électricité est la plus décarbonée et parmi les moins chères en Europe, notamment grâce à notre mix énergétique nucléaire – renouvelables. L’électricité française est et restera compétitive.
La transition écologique nécessite des investissements majeurs d’ici à 2040. L’enjeu pour Enedis est d’accompagner tous les acteurs – producteurs, fournisseurs, industriels… – dans la deuxième électrification de la France. Aujourd’hui,
29 % de la facture d’électricité d’un client particulier sont dédiés à l’acheminement de l’électricité, dont l’entretien et la modernisation du réseau. Notre ambition est évidemment de conserver cette compétitivité. Au travers du nouveau tarif d’acheminement TURPE 7, la Commission de régulation de l’énergie vient d’accorder à Enedis les moyens de mener à bien son activité régulée en forte croissance tout en assurant plus de performance pour que la facture d’électricité reste soutenable pour les Français. Notre responsabilité collective est en effet de rendre le coût de la transition écologique supportable par les clients.

© Goldstein Julien

Le développement du photovoltaïque pose des problèmes d’équilibrage du réseau et de valorisation de l’électricité produite à des moments où elle n’est pas nécessairement recherchée. La PPE retient une multiplication de la puissance installée en photovoltaïque par un facteur d’environ 3 d’ici à 2035 avec une répartition qui pourrait conduire à un fort pourcentage en petites et moyennes toitures. Le réseau est-il préparé à supporter des objectifs aussi ambitieux ?

Le projet de 3e PPE prévoit entre 65 et 90 GW de puissance photovoltaïque raccordée d’ici à 2035. Nous étions à
16 GW en 2022, et nous avons connu ces deux dernières années une forte accélération. Nous sommes aujourd’hui à
22 GW de puissance raccordée.
Au total, les branchements effectués par Enedis l’année dernière représentent 5,5 gigawatts (GW) pour l’ensemble des ENR : cela correspond à 1 % de production supplémentaire en France. La puissance totale installée d’énergies renouvelables atteint 45 GW. Dans ce contexte, Enedis fait face à un enjeu majeur : la multiplication des petites installations. Entreprise de service public, nous raccordons tous les clients qui en font la demande, bien que cela complexifie la gestion du réseau.

Le réseau électrique est-il prêt à supporter l’électrification massive des usages, consommation et transport, qui se profile ? On entend souvent évoquer les problèmes qu’ils pourraient susciter en termes de passage des pointes.

Selon les conclusions d’une étude prospective Enedis, la consommation d’électricité devrait croître de 15 % d’ici à 2035 (près de 1 % en moyenne par an).
La consommation sera principalement tirée par les mobilités électriques. Le nombre de véhicules électriques devrait représenter 40 % du parc automobile français (ensemble du parc roulant) contre 5 % aujourd’hui, soit 18 millions de véhicules en 2035. La sobriété et l’efficacité énergétique contribueront à une baisse de la consommation électrique du secteur résidentiel hors mobilités.
Pour accompagner l’électrification des usages, pour aller vers la neutralité carbone, nous devons adapter le réseau mais aussi certains de nos comportements. Au fil et à mesure que nous raccordons des installations solaires, nous voyons se constituer ce que l’on appelle la « cloche solaire », avec une production d’électricité importante l’après-midi, notamment en été.
C’est pourquoi la Commission de régulation de l’énergie nous a demandé de déplacer une partie des heures creuses, qui sont aujourd’hui positionnées majoritairement la nuit, vers les heures de début d’après-midi où l’énergie est abondante et peu chère durant la période estivale, tout en conservant cinq heures au minimum d’heures creuses la nuit. Cette réforme permettra de lisser la consommation sur la journée pour modérer les pointes de consommation. Sa mise en place s’étalera sur deux ans.
Concernant l’électrification des transports, Enedis considère que le pilotage de la charge des véhicules électriques est un enjeu majeur pour le système électrique français. En raison de l’arrivée prochaine de millions de véhicules connectés au réseau, il est essentiel que leur recharge intervienne durant les périodes où l’électricité est la plus disponible et la moins chère. Enedis encourage ainsi la mise en œuvre du pilotage de la recharge pour tous les cas d’usages et typologies de clients. En 2024, 5,1 GW de capacité installée de recharge ont été connectés au réseau de distribution. La France dispose aujourd’hui de 2,3 millions de points de charge, ce qui fait de notre pays le 2e plus grand maillage d’Europe derrière les Pays-Bas.

Plus généralement, pour faire face à la complexification de la gestion du réseau, quels sont les moyens de flexibilité auxquels le réseau de distribution pourra faire appel ?

Dans ce contexte de forte croissance, pour tenir les délais et réduire les coûts, nous devons intensifier les dispositifs de flexibilité : flexibilité des producteurs, flexibilité des consommateurs, flexibilité apportée par les opérateurs de stockage. La réforme des heures pleines / heures creuses devrait également contribuer à une meilleure gestion du réseau, en permettant de faire correspondre les horaires de consommation aux horaires de production.
La gestion du réseau de distribution va continuer à évoluer. Enedis va devoir piloter, en temps réel, des capacités d’autoconsommation, de stockage, d’injection ou de soutirage en fonction des besoins de ses clients, particuliers comme industriels. Maximiser la flexibilité du système électrique est une tendance de long terme dont les besoins se font déjà sentir aujourd’hui.

À l’automne 2023, la tempête Ciaran a été particulièrement marquante avec plus d’un million de foyers privés d’électricité. Comment le réseau de distribution s’adapte-t-il face aux événements climatiques ?

Les aléas climatiques ne sont pas nouveaux, nous sommes organisés depuis longtemps pour y répondre : c’est le sens de la FIRE (Force d’Intervention Rapide Électricité), mise en place après la tempête de 1999. Ce qui est nouveau, c’est leur fréquence et leur intensité : nous comptabilisons 34 événements climatiques d’ampleur en 2 ans, contre 25 sur la période 2018-2022.
C’est dans ce contexte que nous intensifions l’adaptation du réseau avec d’importants investissements, nous consacrons environ 1,3 milliard d’euros en 2024 pour renouveler 10 000 km de câbles et construire 15 000 km, dont 99 % en souterrain. À la suite de la tempête Ciaran, nous avons renforcé le programme d’investissement à hauteur de 200 millions d’euros en Bretagne et en Normandie pour consolider le réseau, en complément des 390 millions d’euros prévus pour la modernisation et la résilience sur la période 2025-2029.
Mieux adapter le réseau, mais aussi mieux anticiper les crises. Nous travaillons de manière systémique avec les opérateurs de services essentiels et les collectivités pour établir ensemble un plan d’adaptation aux changements climatiques dans les territoires de nos 25 directions régionales. Nous développons aussi des outils avec de l’intelligence artificielle pour mieux anticiper les crises et par exemple, pour pré-positionner des ressources afin de pouvoir intervenir au plus vite.

© Morgan Richard

Récemment, la Cour des comptes a salué le déploiement réussi du Linky pour un coût inférieur aux prévisions initiales. Quel bilan tirez-vous du déploiement du Linky ?

On ne peut que se féliciter de l’appréciation positive par la Cour des comptes de ce programme industriel d’ampleur, reconnu par tous les acteurs du système électrique.
Le bilan est très positif à plusieurs égards. Tout d’abord pour les clients, plus 37,6 millions de compteurs Linky sont installés en France, soit 95 % des foyers équipés qui sont désormais facturés sur une consommation réelle et non plus estimée. Linky permet aux consommateurs de mieux piloter leur consommation en ayant accès à leur courbe de charge et de suivre directement leur production lorsqu’ils sont équipés de panneaux solaires.
Enfin, c’est un bilan financier très positif qui souligne notre discipline budgétaire. Enedis est pleinement mobilisée pour révéler tout le potentiel technologique du compteur Linky et plus largement pour faire du réseau de distribution d’électricité un levier de lutte contre le changement climatique grâce à l’électrification des usages et à l’accélération de la transition écologique.

Marianne Laigneau

Marianne Laigneau
présidente du directoire d’Enedis

© CAPA PICTURES

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