Au Gouvernement depuis 2018, vous avez eu plusieurs portefeuilles en lien avec les questions écologiques et économiques. Quelles percées ont pu être réalisées et quels chantiers vous paraissent encore décisifs ?
Agnès Pannier-Runacher : Sur le plan écologique, de nombreuses avancées ont été réalisées depuis le premier quinquennat du Président de la République. La France a réduit ses émissions de gaz à effet de serre de plus de 20 % en sept ans, la qualité de l’air s’est sensiblement améliorée, la décarbonation des 50 sites industriels les plus émetteurs a été engagée, les énergies renouvelables se sont développées au même rythme qu’en Allemagne si souvent montrée en exemple, la relance du nucléaire a été enclenchée, la planification écologique est en cours de déploiement… Ce ne sont que quelques exemples auxquels je suis fière d’avoir contribué.
Sur le plan économique, la France a enclenché sa réindustrialisation après des années de déclin (450 usines et 150 000 emplois industriels créés entre 2017 et 2024) et sa sortie du chômage de masse (3 millions d’emplois créés). Elle est la destination la plus attractive pour les investissements étrangers depuis six années consécutives, le nombre d’apprentis a été triplé, etc. Là aussi, ce sont des percées cruciales alors que certains disaient la France condamnée au déclin industriel et économique.
Néanmoins, sur mon portefeuille ministériel, plusieurs chantiers restent d’une urgence absolue : l’adaptation de notre pays aux effets du changement climatique, avec l’horizon du + 4 °C d’ici 2100 dans l’Hexagone qui se réchauffe plus vite que la planète ; la sortie de notre dépendance aux énergies fossiles ; la lutte contre les pollutions ; la sécurisation de notre souveraineté alimentaire ; la lutte contre l’effondrement de la biodiversité, qui conditionne la survie humaine et qui doit être mise au sommet de nos priorités politiques au même titre que la lutte contre le dérèglement climatique ; rendre l’écologie populaire, en s’assurant que la solution décarbonée ne soit jamais plus chère que la solution carbonée parce que nous taxons plus favorablement les énergies fossiles.
Et il y en a tant d’autres encore pour lesquels je me bats chaque jour !
Aujourd’hui, face au ralentissement économique et dans la ligne des orientations prises outre-Atlantique, des voix s’élèvent en Europe pour reconsidérer les objectifs de la transition écologique. Faut-il garder le cap ou accepter des infléchissements ?
A. P.-R. : Garder le cap et accepter des infléchissements ne sont pas des objectifs incompatibles.
Il faut impérativement garder le cap. Ne pas le faire serait une faute historique. D’abord, parce que le contexte géopolitique n’arrête pas la course contre-la-montre climatique. Ensuite, parce que les principales puissances mondiales, elles, ne vont pas s’arrêter en chemin. Regardez la Chine qui développe à marche forcée les industries vertes telles que les énergies renouvelables et les véhicules électriques. Si la France ne suit pas sur les industries d’avenir, elle sera irrémédiablement déclassée. Et enfin, ce serait une faute historique car l’écologie est aussi l’un des grands enjeux géopolitiques du siècle : indépendance énergétique, souveraineté alimentaire, accès à des ressources essentielles qui se raréfient, migrations climatiques, etc. L’écologie est au carrefour des grands défis des décennies à venir.
Néanmoins, il faut aussi écouter ce que disent les industriels. Non pas qu’il faille arrêter de lutter contre le dérèglement climatique. Voilà bien longtemps qu’ils ont commencé à le faire ! Mais il ne faut pas confondre écologie et bureaucratie. Simplifier la directive européenne CSRD et tenir compte de la taille des entreprises dans sa mise en œuvre, ce n’est pas renoncer. C’est se concentrer sur le sens de ce dispositif : créer un avantage compétitif qui valorise les entreprises qui maîtrisent leur empreinte environnementale.
Être ambitieux et, pour garder ce cap, débureaucratiser et simplifier là où cela s’impose. Voilà ma ligne politique !
Vous avez été à l’initiative d’une coalition européenne pour le nucléaire qui a marqué un retour de la France sur les sujets énergétiques à Bruxelles. Le pari est-il gagné ? Sur quels autres sujets majeurs la France devrait-elle également se positionner comme leader ?
A. P.-R. : Le pari est en bonne voie d’être gagné ! Grâce à la France, le rôle du nucléaire dans la décarbonation est aujourd’hui reconnu dans plusieurs cadres européens. L’Alliance du nucléaire dont j’ai été à l’initiative, la mobilisation sur la taxonomie et les textes industriels ont permis des avancées concrètes. La reconnaissance explicite du principe de neutralité technologique dans le Clean Industrial Deal marque un tournant : elle consacre l’idée que toutes les technologies bas-carbone, y compris le nucléaire, doivent pouvoir bénéficier des instruments de soutien européens. Même les Allemands commencent à rejoindre ce consensus. C’est une victoire politique importante pour la France, en cohérence avec nos choix stratégiques. Nous devons tenir la ligne.
L’autre combat essentiel pour la France et l’Europe est celui des mesures dites « miroirs », qui visent à appliquer les mêmes exigences environnementales, sanitaires et sociales aux produits que nous importons, que celles qui s’appliquent aux productions européennes. Nous devons défendre la vision d’un modèle européen cohérent, fondé sur la réciprocité et une exigence environnementale assumée dans nos échanges internationaux.
Début 2025, vous avez présenté le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC). Quelles sont les priorités, notamment relatives aux bâtiments et aux infrastructures ?
A. P.-R. : Ce plan s’inscrit dans une vision stratégique globale : celle de renforcer notre résilience face à un réchauffement pouvant atteindre + 4 °C d’ici la fin du siècle en France métropolitaine. Rappelons que + 4 °C c’est le scénario central du GIEC qui implique que la France et l’Europe atteignent leur neutralité climatique en 2050, et reconnaît que la France et l’Europe, de par leur situation géographique, se réchauffent plus vite que la planète.
Adapter nos bâtiments et nos réseaux au réchauffement climatique, c’est à la fois protéger les milieux naturels, limiter l’exposition des populations aux risques climatiques, prévenir des coûts économiques majeurs et protéger notre souveraineté énergétique, alimentaire et technologique mise à mal par le changement climatique.
En 2025, en matière d’adaptation, mes priorités sont multiples. Pour ne citer que quelques exemples : intégrer le dérèglement climatique dans toutes les rénovations énergétiques du parc immobilier de l’État en Outre-mer comme dans l’Hexagone ; améliorer la résilience du système électrique ; déployer une stratégie de long terme pour la robustesse des infrastructures de télécommunications ; accélérer l’amélioration du confort thermique dans les établissements scolaires ; anticiper les dégâts structurels liés à l’augmentation des phénomènes de retrait-gonflement des sols, etc.

Plus particulièrement, comment traiter la hausse des températures dans les zones urbaines denses qui sont exposées aux îlots de chaleur ? Y a-t-il une contradiction entre l’effort de réduction des consommations et les besoins en énergie nécessaires au rafraîchissement des bâtiments ?
A. P.-R. : Avec le PNACC, nous avons fait des îlots de chaleur, notamment dans les zones urbaines denses, une priorité de notre action. Pourquoi ? Car c’est un risque sanitaire pour les plus fragiles d’entre nous. Mais aussi car c’est un enjeu social important. La vulnérabilité aux îlots de chaleur est accrue pour les ménages les plus modestes.
Nous avons donc l’ambition, avec ce plan, de repenser nos activités pour bâtir des villes plus résilientes et plus sobres. Et pour éviter que les solutions elles-mêmes accroissent les besoins en énergie, nous avons plusieurs moyens de concilier réduction des consommations et augmentation des besoins de rafraîchissement.
Les solutions vertes sont fondées sur la nature. En végétalisant nos villes ou en recourant à des fontaines, nous améliorons le confort thermique, réduisons les besoins en climatisation et limitons nos émissions. Les solutions grises concernent les infrastructures urbaines. Il s’agit de mieux isoler les bâtiments, d’utiliser des revêtements ou des peintures qui protègent de la chaleur.
Enfin, il y a les solutions douces, que nous pouvons mobiliser au quotidien. En privilégiant les mobilités douces, en réduisant l’usage de la climatisation, en adoptant des gestes simples comme l’aération nocturne ou l’adaptation des horaires de travail. C’est également ce que prévoit le PNACC pour nos écoles, avec la possibilité d’aménager les rythmes scolaires en cas de fortes chaleurs.
Un accord sur la décarbonation du transport maritime a été trouvé lors du dernier comité pour la protection de l’environnement de l’Organisation maritime mondiale (OMI). Ce texte répond-il à vos attentes ?
A. P.-R. : Avec cet accord, pour la première fois, le monde maritime se dote d’un mécanisme puissant pour parvenir à son objectif de neutralité carbone pour 2050. Il permet de s’aligner avec la législation européenne, qui couvre les émissions du transport maritime depuis janvier 2024, et démontre que l’Union européenne montre la voie à l’international en matière de transition écologique.
Cet accord est la preuve que le multilatéralisme a encore sa place et que l’action climatique continue de mobiliser nos partenaires à l’international. Je reste néanmoins lucide sur le fait qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à la neutralité carbone d’un secteur difficile à décarboner. Nous y œuvrons, notamment à l’occasion de la Conférence des Nations unies sur l’Océan qui s’est tenue à Nice.
Pensez-vous que l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) pourrait à l’avenir s’en inspirer pour faire évoluer le mécanisme mondial de compensation des émissions de CO2 de l’aviation internationale (CORSIA) ?
A. P.-R. : Pour réussir la transition écologique, tous les secteurs dépendant des énergies fossiles doivent prendre des mesures fortes !
L’aviation a été le premier secteur à se doter d’un marché carbone mondial, avec l’adoption du mécanisme CORSIA dès 2018. La France, pleinement engagée dans la décarbonation du secteur, y participe activement depuis le lancement de la phase pilote en 2021. Ce dispositif deviendra obligatoire pour tous les États à partir de 2027.
Cela ne doit pas nous empêcher de continuer à agir. La France défend le principe de mécanismes de compensation carbone crédibles, solidaires et efficaces. C’est pourquoi, suite aux avancées de la COP29, j’ai lancé une charte pour une utilisation responsable des crédits carbone internationaux pour garantir que le développement de ces marchés se fasse dans le respect des principes d’intégrité environnementale, au service de la neutralité climatique.
Dès la fin 2024, la France avait publié les orientations de sa planification maritime. En quoi ce document structure-t-il notre stratégie pour un transport maritime à la fois durable et compétitif ?
A. P.-R. : La planification maritime française constitue l’un des deux piliers de la stratégie française visant à concilier durabilité environnementale et compétitivité économique du secteur. Le second pilier étant la feuille de route pour la décarbonation de la filière maritime.
La planification maritime, c’est quoi ? C’est dialoguer et prévoir pour mieux anticiper et assurer la résolution des conflits d’usage qui se jouent dans nos espaces maritimes. C’est mener une concertation très large de tous ceux qui sont concernés – citoyens, associations, professionnels – pour que la mer soit un espace de conciliation et non d’affrontement. Que nous puissions par exemple déterminer le cadre de développement des énergies marines renouvelables, notamment l’éolien en mer, avec un objectif de 45 GW installés d’ici 2050 (20 % de notre électricité), nécessaire pour atteindre nos objectifs climatiques, tout en assurant la protection de la biodiversité marine, tout en permettant aux activités économiques de pêche et de tourisme de pouvoir se développer.
Les carburants durables pour la marine sont à ce stade peu disponibles et on hésite entre l’e-méthanol, l’e-ammoniac voire l’hydrogène. Comment voyez-vous l’avenir et quel rôle peut jouer la France ?
A. P.-R. : Les carburants durables ont un rôle clé à jouer dans la décarbonation du secteur maritime. Ils se décomposent en deux principaux types.
D’une part, les biocarburants qui constituent une solution immédiate pour les navires français, avec l’État qui joue un rôle important pour structurer le marché. Il soutient leur développement, à travers le mécanisme de la TIRUERT, qui a permis de bâtir une véritable filière des biocarburants en France. Le gouvernement envisage aujourd’hui d’élargir ce dispositif au secteur maritime. Une consultation a été lancée le 12 mai en ce sens.
D’autre part, les e-carburants qui sont produits à partir d’électricité. La France dispose ici d’un atout majeur : une électricité à la fois bas-carbone (à 95 %) et compétitive. Dans le cadre de la stratégie hydrogène révisée, nous ambitionnons de faire émerger une filière dès 2030, pour produire des carburants de synthèse à coût compétitif. C’est une opportunité stratégique pour renforcer notre souveraineté énergétique. Je tiens à rappeler que l’approche française repose sur la neutralité technologique : aucune solution n’est imposée. Cela permet aux acteurs de choisir les solutions les plus adaptées à leurs besoins et contraintes. L’essentiel est de sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. D’autres leviers doivent également être mobilisés, comme l’optimisation logistique, l’amélioration de l’efficacité énergétique, la sobriété – par exemple via la réduction de la vitesse – ou encore le recours à l’énergie du vent. Aux côtés des carburants durables, ils joueront un rôle crucial dans la transition du pavillon français.

Crédit photo de couverture : Abaca Press/Alamy Live News.
Visite du chantier de Saint -Nazaire, le 26 mai 2025 en compagnie du Premier ministre François Bayrou.