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Peut-on atteindre la neutralité carbone sans augmenter la consommation d’électricité ?

Par le |

En Europe comme en France, l’électricité est reconnue comme vecteur principal de décarbonation. Cependant, certains soutiennent que, grâce à des efforts massifs de sobriété énergétique, il serait possible d’atteindre les objectifs de décarbonation sans augmenter la consommation d’électricité, ce qui permettrait de minimiser la mise en place de nouveaux moyens de production. Cette vision est erronée et ne pourrait se faire qu’aux dépens de la croissance économique, de notre qualité de vie et de celle de nos enfants.

Une tendance de long terme

En un peu plus d’un siècle, l’électricité a transformé la vie des hommes, tant par substitution des usages fossiles (pour l’éclairage initialement) que par ses usages spécifiques (équipements domestiques, appareils d’analyse médicale, télécommunications, informatique, etc.). Depuis la crise pétrolière de 1973, la consommation mondiale d’énergie finale a continué d’augmenter et, au sein de celle-ci, la consommation d’électricité a crû en moyenne deux fois plus vite. Le pourcentage de l’électricité au sein de la consommation d’énergie finale a ainsi sensiblement doublé, pour atteindre presque 20 % en 2019.

L’électricité, outil majeur de la décarbonation

La capacité du « vecteur » électricité à valoriser les sources d’énergie (fossiles, renouvelables, nucléaires) d’une part, sa flexibilité en termes d’usages d’autre part, ont facilité son développement, même si tous les hommes n’y ont pas encore accès. En outre, la production d’électricité peut devenir quasiment décarbonée en augmentant la proportion des énergies renouvelables (hydraulique, solaire, éolienne) et du nucléaire au détriment des combustibles fossiles (charbon, gaz, pétrole). Compte-tenu de ses caractéristiques, l’électricité bas carbone est ainsi reconnue comme l’outil majeur de réduction des émissions, dans les bâtiments, les transports et l’industrie.

Les autres sources décarbonées ne doivent pas être négligées mais leur apport reste limité :

  • l’usage direct de l’énergie solaire n’est possible que dans quelques usages tels que les chauffe-eau solaires ou certains séchages dans l’agriculture ;
  • les déchets et la biomasse pour l’énergie (biocarburants ou du biogaz) sont limités et l’usage de la biomasse pour l’énergie peut entrer en concurrence avec la couverture des besoins alimentaires ;
  • l’usage direct de la chaleur géothermique est géographiquement limité (il ne s’agit pas ici de la géothermie peu profonde couplée à des pompes à chaleur).

Enfin, le vecteur hydrogène, souvent cité pour décarboner les transports lourds et certains procédés industriels, ne peut l’être que s’il est produit de manière décarboné, donc par électrolyse de l’eau avec une électricité bas carbone. De plus, le rendement des électrolyseurs puis de la compression et du stockage sous pression de l’hydrogène conduisent à un rendement total de l’ordre de 60 %. Ainsi, il faut 50 TWh pour produire un million de tonnes d’hydrogène et décarboner par l’hydrogène implique une forte augmentation de la consommation d’électricité.

Ces transformations conduisent à un accroissement du rôle et des besoins en électricité au sein de tous les systèmes énergétiques. Au niveau mondial, l’AIE, dans son rapport1 de mai 2021, prévoit une multiplication par 2,5 de la production d’électricité afin d’assurer la moitié de la consommation mondiale d’énergie finale en 2050.

Fig. 1 : Évolution des bilans énergétiques mondiaux
selon l’Agence internationale de l’énergie.

Une augmentation de la consommation d’électricité de 55 à 80 % est attendue en France entre 2019 et 2050

En 2019, en France, l’électricité a assuré 26,6 % de la consommation finale d’énergie2 et ce pour seulement 4,8 % des émissions françaises de gaz à effet de serre3 (figure 2). Avoir les « idées claires », en France, c’est donc s’occuper des quelque 73,4 % de la consommation énergétique hors électricité, très majoritairement carbonée, à l’origine de 55,4 % des émissions, soit plus de 10 fois celles dont la production d’électricité est responsable.

Bien que le vecteur électrique puisse contribuer fortement à cet effort de décarbonation, certains acteurs du paysage français (ONG, institutions publiques) tablent encore sur une stabilité voire une baisse de la consommation d’électricité en valeur absolue.

Pour sa part, dans un avis de mars 20214, l’Académie des technologies, estime nécessaire une augmentation de 55 à 85 % de la production d’électricité entre 1990 et 2050.

De son côté, le RTE, dans son rapport sur « les Futurs énergétiques 2050 » d’octobre 20215, présente six scénarios comprenant tous l’électrification d’une large part des usages de l’énergie. Aujourd’hui, une augmentation de la consommation d’électricité est à nouveau prise en compte au niveau politique et la situation a évolué de manière similaire en Allemagne en 2021.

En France, la décarbonation via l’électricité est d’autant plus logique que le mix électrique est fortement décarboné : remplacer une chaudière à gaz, même à condensation, par une pompe à chaleur réduit les émissions annuelles par un facteur supérieur à 5 ; remplacer une cuisinière à gaz par une cuisinière à induction les réduit d’un facteur de plus de 6. Dans les deux cas, la consommation d’électricité augmente mais la consommation d’énergie finale et les émissions baissent. De même, le remplacement d’une voiture à moteur thermique par une voiture électrique divise par environ 2,5 l’énergie consommée en déplacement et par 2 à 3 les émissions induites suivant les batteries.

Fig. 2 : Répartition des émissions de CO2e estimées par secteur
en France métropolitaine et Outre-Mer en 2019

Une évolution similaire dans tous les secteurs

L’analyse secteur par secteur conclut à une augmentation de la consommation électrique de chacun d’entre eux :

  • dans le résidentiel et le tertiaire neufs, les solutions électriques s’imposent largement pour les besoins thermiques. Dans l’ancien, souvent mal isolé, l’électrification du chauffage, associé à l’amélioration de l’isolation, peut assurer une baisse substantielle des émissions et une réduction de la facture d’énergie. Par ailleurs, la climatisation, elle-aussi électrique, va aller en croissant ;
  • dans les transports, décarboner c’est remplacer les véhicules thermiques par des véhicules électriques à batteries ou, pour les transports lourds, par des véhicules à hydrogène. Dans tous les cas, cette évolution conduit à une augmentation du besoin d’électricité ;
  • dans l’industrie, une approche détaillée par domaine (sidérurgie, ciment, papier, chimie…) des possibilités technico- économiques de décarbonation avec les technologies actuelles montre l’importance de l’électrification directe ou via l’hydrogène, sans oublier la récupération de chaleur via des pompes à chaleur électriques et le recyclage qui fait largement appel à l’électricité.

Il faut donc se préparer dès aujourd’hui à la croissance prévisible des besoins

Selon l’Académie des technologies, dans un contexte de baisse de la consommation d’énergie finale de 2 100 TWh à 1 050 TWh, la consommation d’électricité devrait progresser de 470 TWh en 2019 à 730, voire à 840 TWh suivant la place de l’hydrogène. RTE et le projet européen ExTremos retiennent des ordres de grandeur similaires.

Ces perspectives appellent à engager rapidement la réalisation des infrastructures de production et de transport qui seront nécessaires. L’anticipation dans le domaine de l’électricité est indispensable. La construction de nouveaux moyens de production, quels qu’ils soient, et de réseaux de transport demande des années. Les investissements correspondants sont importants et l’électricité joue un rôle essentiel dans notre vie quotidienne et dans l’économie, bien plus qu’il y a 50 ans. De ce fait, une sous-capacité de production est beaucoup plus à éviter qu’une surcapacité. Même si cette augmentation n’est que de 2 à 2,5 % par an, compte-tenu des constantes de temps, il faut donc lancer sans attendre la construction des centrales nucléaires, éoliennes et solaires nécessaires et développer des politiques industrielles et d’utilisation des sites cohérentes pour assurer au moindre coût cette croissance de la consommation d’électricité.

1) https://www.iea.org/reports/net-zero-by-2050
2) https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/bilan-energetique-de-la-france-en-2019-synthese
3) En 2019, le nucléaire a assuré 70,6 % de la production, l’hydraulique 11,2 %, l’éolien 6,3 %, le solaire 2,2 %, la biomasse 1,8 % et le thermique 7,9 %
[https://bilan-electrique-2020.rte-france.com/production-emissions-de-co2]
4) Avis Perspective de la demande française d’électricité d’ici 2050, Académie des technologies, 10 mars 2021
5) https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques

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