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Le prix du kWh au cœur de la deuxième révolution électrique

Par le

En 2022, l’Europe a dû faire face à la crise de l’énergie la plus grave qu’elle ait jamais connue. Le prix du gaz et, par ricochet, celui de l’électricité se sont envolés jusqu’à des sommets jamais atteints.

Et puis, la pression est retombée, grâce notamment aux mesures d’urgence prises par les États et par la Commission européenne pour limiter la demande et contenir la spéculation. Pour éviter le retour de tels événements, tout en continuant à lutter contre les émissions de CO2, le développement des usages de l’électricité est apparu comme la solution la plus efficace.
Toutefois, cette électrification des usages, voulue par la France et par l’Europe, peine à s’imposer. Sur le plan technique, beaucoup de solutions sont disponibles.
Les pompes à chaleur (PAC) ont fait de grands progrès et, même si elles ne peuvent pas encore répondre à toutes les situations, il existe un potentiel de conversion vers les PAC d’au moins 15 millions de logements. Dans les transports, la mobilité électrique est une solution mature. Dans l’industrie, les solutions de pompes à chaleur haute température, de com- pression mécanique de vapeur, de fours électriques sont disponibles depuis longtemps mais les investissements ne se font pas au rythme espéré.
Il faut donc regarder du côté des prix.

Les prix de l’électricité n’ont pas retrouvé le niveau d’avant crise

Comme après tout séisme, il y a eu après le paroxysme du mois d’août 2022, des répliques de moindre amplitude. 18 mois après, la crise semble passée et les choses rentrées dans l’ordre (figure 1). Pour l’électricité, un point positif est l’avantage comparatif qui s’est creusé par rapport au gaz, qu’il s’agisse des prix de gros ou des prix de détail. Le prix du gaz a en effet été fortement impacté par le redéploiement du gaz importé depuis la Russie vers le gaz naturel liquéfié (GNL) importé depuis les États-Unis.


Pour les gros consommateurs, l’écart (le spread) sur les prix de gros de l’électricité qui était historiquement favorable à l’Allemagne, s’est inversé et dépasse à présent 20 €/MWh. Mais les prix de gros de l’électricité, pour les livraisons en France, demeurent 32 % supérieurs à ce qu’ils étaient en 2019. Cette hausse des prix de gros se retrouve sur le marché de détail et le tarif réglementé de vente d’électricité (TRVE) affiche en France à fin mars 2025, pour l’électricité vendue en base, une hausse de 39 % par rapport au prix du 1er janvier 2019. Dans le même temps, la hausse des produits pétroliers a été contenue : 33 % pour le fioul domestique et 18 % pour le gazole routier (figure 2).

L’analyse de la Commission européenne

Reprenant l’analyse du rapport Draghi, la Commission européenne note, en introduction à son Action Plan for Aflordable Energy, que l’écart entre les prix de l’énergie en Europe s’est accru par rapport à ses principaux concurrents.
Le graphique de la figure 3 montre que, pour l’électricité livrée à l’industrie, le rapport des prix atteint un facteur 2 par rapport à la Chine et aux États-Unis.
Il est probable que l’électrification des usages, qui requiert en elle-même des investissements importants, ne se produira pas au rythme souhaité si les moyens ne sont pas trouvés pour rendre les prix de l’électricité encore plus attractifs qu’ils ne sont aujourd’hui.
Les remèdes proposés par la Commission sont-ils à la hauteur du problème posé ? Ils vont dans le bon sens mais restent trop empreints de l’idée que le marché est la meilleure des solutions. L’historique des dernières décennies ne permet pas de s’en convaincre.

Peut-on faire évoluer le modèle des prix de l’électricité ?

Aujourd’hui le modèle des prix de l’électricité reste axé essentiellement sur le prix du kWh. Or, ce prix du kWh est perçu comme élevé par beaucoup d’usagers potentiels qui ne raisonnent pas forcément de façon rationnelle. Les ménages intéressés par l’installation d’une pompe à chaleur peuvent considérer que le temps de retour de l’investissement est trop long. Un industriel ou un data center sera tenté de s’installer là où le kWh est bon marché.
Il est paradoxal, à une époque où la production d’électricité est devenue essentiellement une question d’investissements (CAPEX), avec des coûts d’exploitation (OPEX) faibles au regard de ce qu’ils étaient à l’époque des combustibles fossiles, que les structures de prix soient restées quasiment inchangées. Jadis, les communications téléphoniques étaient facturées à la minute, mais les technologies de la communication et de l’information ne se seraient pas développées si l’on était resté sur ces bases.

Il ne s’agit pas de préconiser des formules de pur abonnement mais de trouver les moyens de baisser le prix du kWh pour le rendre attractif, pour donner encore plus envie aux ménages de passer au véhicule électrique, pour inciter l’industrie française à fabriquer plus à partir de l’électricité décarbonée aujourd’hui largement disponible.
On dira que baisser le prix du kWh est une incitation à la consommation. Mais faire payer davantage la puissance souscrite ou appelée inviterait à choisir des solutions efficaces. Et l’économie a besoin d’énergie pour croître. Consommer du kWh décarboné serait-il un péché ?
On dira aussi que baisser le prix du kWh est impossible car il faut couvrir les charges d’investissement considérables auxquelles doivent faire face l’opérateur historique et les réseaux. Il faut d’abord considérer que ces investissements sont, pour une large part, des investissements structurants pour la nation dont profiteront les générations à venir. Le nouveau nucléaire est appelé à durer 60 ans, voire 80, et les réseaux tout autant. Ces investissements  transgénérationnels échappent au modèle économique usuel de l’industrie. Il faut trouver les moyens d’en répartir les charges sur une très longue période. L’électricité de base est un bien essentiel et il ne serait pas choquant que l’État veille et participe à sa production et à son acheminement.

Il est également de la responsabilité des États de modérer la fiscalité et les prélèvements qui pèsent sur l’électricité. Il est heureux que le gouvernement Bayrou ait renoncé à la hausse de l’accise sur l’électricité à laquelle se préparait le gouvernent Barnier. Mais l’accise sur l’électricité ne pourrait-elle pas être assise sur le kW plutôt que sur le kWh ? Est-il raisonnable qu’avec des émissions de CO2 bien inférieures, l’électricité soit plus taxée que le gaz ?
Aller dans le sens d’un renforcement du poids relatif des primes fixes, modéré par une redistribution de la fiscalité, donnerait de l’espace pour baisser les prix du kWh et proposer de nouvelles formules commerciales. Les contrats d’allocation de production nucléaire (CAPN), imaginés pour prendre la suite de l’Arenh en fin d’année, vont dans cette direction. Des contrats inspirés des contrats de location de véhicules assortis d’une enveloppe de kWh, pourraient s’avérer attractifs. Des contrats « energy as a service » pourraient être proposés à l’industrie. Des tarifications par usage pourraient-elles être imaginées, également assorties de forfaits appropriés ?

Le doublement de la part de l’électricité dans la satisfaction des besoins en énergie du consommateur est une révolution nécessaire. On ne doit s’interdire aucune réflexion pour y parvenir.

Jean-Pierre Hauet
Jean-Pierre Hauet
président du Comité scientifique, Équilibre des Énergies
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