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Marché de l’électricité : des réformes sont nécessaires

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Les prix du gaz ont connu au cours des derniers mois des hausses considérables sur les marchés européens. Leur répercussion sur le tarif réglementé de l’électricité applicable aux consommateurs domestiques aurait pu entraîner une hausse très importante alors que les fondamentaux de la production nationale de l’électricité n’étaient pas sensiblement modifiés. Jacques Percebois nous explique l’origine  de cette situation paradoxale et les mesures qui pourraient être prises pour assurer un meilleur fonctionnement des mécanismes de formation des prix de l’électricité.

Le consommateur français d’électricité, en particulier celui qui bénéficie encore du tarif réglementé de vente (TRV) fixé par les pouvoirs publics sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), a du mal à comprendre pourquoi le prix qu’il paie est, une bonne partie du temps, calé sur le prix international du gaz naturel importé, alors que la part du gaz dans la production d’électricité française ne dépasse guère 6 %. Il ne comprend pas non plus pourquoi le TRV est calculé en fonction des coûts des concurrents d’EDF.

Comment réformer le marché spot de l’électricité ?

Sur le marché de gros dit day-ahead, le prix se forme chaque heure en fonction de la loi de l’offre et de la demande ; c’est le résultat d’enchères à prix-limite qui fait que le prix est calé sur le coût marginal de la dernière centrale appelée, la centrale marginale. Rappelons que ce prix de gros est l’une des trois composantes du prix de détail payé par le consommateur, à côté du coût des réseaux et du montant des taxes. La règle, qui paraît logique, est que le gestionnaire de réseau appelle les centrales par ordre croissant de leurs coûts marginaux (principe dit du merit order). La centrale marginale est souvent une centrale à gaz en Europe, en particulier aux heures de pointe et, quand le prix du gaz s’envole sur le marché international, comme ce fut le cas fin 2021 et début 2022 (du fait d’une forte demande de gaz et des risques de rupture des approvisionnements à cause de la guerre en Ukraine), le prix de l’électricité s’envole lui aussi. La hausse du prix du CO2 sur le marché européen du carbone a accentué le phénomène et comme la France est importatrice d’électricité carbonée aux heures de pointe, elle a subi ces augmentations. Cette envolée se répercute sur les prix de détail, sauf à ce que les pouvoirs publics appliquent un bouclier tarifaire, ce qui fut le cas en France en février 2022. Mais ce bouclier a un coût pour les finances publiques

Certains suggèrent d’instaurer un prix-plafond sur le marché de gros. On risque dans ce cas de manquer de capacités aux heures de pointe puisque les centrales à gaz dont le coût marginal est supérieur à ce prix-plafond ne seront pas déclarées disponibles au moment des appels d’offres.

Une solution serait plutôt de limiter les appels de puissance à ces heures en réduisant la demande mais rien ne garantit que le potentiel d’effacement sera suffisant. Une autre solution serait de faire baisser le prix du gaz en procédant à des achats groupés des importateurs européens. A défaut, le risque sera de faire appel aux centrales à charbon si le coût variable de ces centrales est moindre que celui des centrales à gaz (coût du carbone compris). Une autre façon de réduire le poids accordé au marché de gros serait de favoriser la signature de contrats à long terme entre fournisseurs et consommateurs, le marché spot ne jouant plus alors qu’un rôle de marché d’ajustement. Certains gros consommateurs industriels bénéficient déjà de tels contrats (soit à prix fixe sur plusieurs mois, soit à un prix partiellement indexé sur le prix spot), mais la Commission européenne est réticente au motif que cela pourrait constituer une entrave au développement de la concurrence.

Comment réformer le mécanisme de l’ARENH ?

L’existence d’une rente de rareté nucléaire, qui donnait un avantage à l’opérateur historique au moment de l’ouverture à la concurrence, s’observe dans les pays où la part du nucléaire dans le mix électrique dépasse un certain seuil : c’était le cas dans les années 2000 en Belgique, où la part du nucléaire était de 53 %, et en France où elle atteignait 75%. Le problème ne se posait pas dans les autres pays où cette part était plus faible. Cet avantage détenu par l’opérateur historique peut donc constituer une barrière à l’entrée pour les concurrents potentiels. Les pouvoirs publics ont alors le choix entre trois solutions : prélever la rente et la redistribuer aux consommateurs qui ont financé le nucléaire (via la mise en place d’une CSPE[1] négative par exemple), taxer l’opérateur historique et affecter la rente à des dépenses communes dans l’énergie ou ailleurs (ce fut la solution belge), ou obliger l’opérateur historique à partager cette rente avec ses concurrents. C’est cette dernière solution qui fut retenue par les pouvoirs publics français via le mécanisme de l’ARENH (accès régulé à l’énergie nucléaire historique).

La loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l’électricité), votée en 2010 et qui a repris les propositions de la commission Champsaur, a accordé aux entrants la possibilité de demander un volume de MWh nucléaires à un prix régulé fixé à 40 euros par MWh fin 2011 puis 42 euros par MWh à compter de 2012. C’est encore le prix de 2022 (sauf pour les 20 TWh exceptionnels accordés au prix de 46,2 euros début 2022) car ce tarif régulé n’a pas été réévalué et n’a donc pas tenu compte de l’inflation ni des surcoûts liés aux investissements de sûreté demandés par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire). L’ARENH est une option gratuite pour le fournisseur alternatif mais le législateur a limité le volume d’ARENH à 100 TWh au total, soit environ 25 % de la production nucléaire de l’époque (408 TWh en 2011).

Les droits ARENH sont calculés pour chaque fournisseur en fonction de son portefeuille de clients et du profil de leur consommation (consommation en base). Les fournisseurs demandent à exercer leurs droits d’ARENH lorsque le prix de gros est supérieur au prix régulé de l’ARENH et n’en demandent pas ou peu dans le cas contraire. 

Le plafond de 100 TWh n’a pas été atteint jusqu’en 2019. C’est seulement à partir de cette date que la demande d’ARENH a dépassé le plafond et il a fallu alors procéder à un écrêtement des demandes. Le régulateur (CRE) attribue les volumes d’ARENH au prorata des demandes faites. Il calcule alors un taux d’écrêtement qui fut de 25 % en 2019 (demande de 133 TWh pour 100 TWh accordés), de 32 % en 2020 et 2021 (demande de 147 TWh), et de 37 % en 2022 (demande de 160,4 TWh). En 2022, les fournisseurs alternatifs n’ont donc obtenu que 63 % en moyenne de leurs demandes d’ARENH. Ils doivent donc se fournir sur le marché de gros pour obtenir le complément marché de leurs offres. C’est la raison pour laquelle ces fournisseurs exigent des volumes supplémentaires d’ARENH. Ces alternatifs ont néanmoins obtenu une rallonge exceptionnelle  de 20 TWh à un prix revalorisé de 46,2 euros/MWh début 2022 pour faire face à l’envolée des prix sur le marché de gros.

Mais l’effet pervers le plus redoutable de ce mécanisme se situe au niveau de l’application de ce que l’on nomme principe de contestabilité du TRV[2]. Pour éviter que le TRV, calculé par la CRE par empilement des coûts (coût de production, de transport, de distribution et de fourniture du MWh), ne favorise EDF par rapport à ses concurrents, il faut que ce TRV soit contestable par les alternatifs (donc réplicable), ce qui requiert que la part du complément marché du TRV soit la même que celle des offres de marché (OM) proposées par les fournisseurs alternatifs.

Cette contestabilté du TRV conduit à un paradoxe : la structure du TRV ne reflète plus aujourd’hui la structure du mix électrique français, ce qui va à l’encontre du souhait du législateur puisque le nucléaire ne compte que pour 42 % dans le TRV contre près de 70 % dans le mix électrique.

Une réforme s’impose donc et on devrait sans doute s’orienter vers une solution qui consiste à considérer le nucléaire comme une essential facility accessible à tous, une sorte de bien commun, ce qui revient à opter in fine pour 100 % d’ARENH. Tous les fournisseurs d’électricité, EDF comme ses concurrents, pourraient se sourcer sur ce nucléaire dont le prix serait régulé, ce qui exigera de dissocier les activités d’EDF entre la production de nucléaire (un opérateur 100 % public), d’une part, et la fourniture d’électricité, d’autre part. Ce sera la meilleure solution pour que le prix payé par le consommateur final reflète au mieux la structure du mix électrique de la France. La difficulté sera de trouver un montage institutionnel acceptable par tous et qui ne donne pas l’impression que l’on procède à un démantèlement de l’opérateur historique.


[1] NDLR : La CSPE, ou contribution au service public de l’électricité, est une taxe sur la consommation finale d’électricité qui avait été instaurée afin de financer l’effort au profit de l’électricité d’origine renouvelable. Elle a été fusionnée en 2015 avec la taxe intérieure sur la consommation finale d’électricité (TICFE). 

[2] NDLR : La « contestabilité » peut être définie comme la faculté́ offerte pour les fournisseurs alternatifs de pouvoir proposer aux clients finaux des offres de marché compétitives par rapport aux tarifs réglementés

Jacques Percebois
Jacques Percebois
Professeur émérite à l’Université de Montpellier (CREDEN)
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