GROUPE ATLANTIC est un des leaders européens dans le domaine du HVAC (Heating, Ventilation and Air Conditioning). Les nombreuses réglementations européennes dans votre domaine contribuent-elles à accélérer la transition bas carbone des bâtiments ?
Damien Carroz : Ce devrait être le cas et nous adhérons bien entendu à ce grand mouvement de sortie progressive des énergies fossiles. Mais l’enfer est pavé de bonnes intentions et nous assistons, au cours des dernières années, à un véritable déluge de textes réglementaires issus, au niveau européen, du paquet Fit for 55. Avec pour conséquence une augmentation des coûts pour les industriels et donc des prix de vente, en particulier pour les pompes à chaleur (PAC) qui sont les plus impactées et dont le marché a chuté de 50 % en Europe de l’Ouest en 2024. Cela profite aux chaudières gaz et fioul – dont le GROUPE ATLANTIC est lui-même un des fabricants – ce qui est un paradoxe, compte tenu des ambitions européennes en matière de décarbonation.
Le nouveau règlement F-Gas va-t-il dans le bon sens ?
D. C. : Hélas non ! La réglementation F-Gas, qui vise à interdire les gaz fluorés à fort potentiel de réchauffement climatique, impacte directement la vitesse de déploiement des PAC dans le secteur du bâtiment et donc le processus de décarbonation. L’interdiction, dont le terme est proche pour les réfrigérants comme le R32, pourtant très efficace et avec un potentiel de réchauffement global (GWP) très inférieur au R410, pousse les industriels à développer de nouvelles offres et à réorganiser leurs lignes de production pour s’adapter à de nouveaux fluides, encore plus inflammables (R290 – Propane). Ces transitions technologiques à marche forcée grèvent les coûts et perturbent le marché pour un bénéfice environnemental marginal comparé à celui que pourrait offrir un déploiement rapide de l’électrification des bâtiments grâce aux PAC. À vouloir trop en faire, on obtient parfois le résultat inverse de celui attendu.
En France, le règlement F-Gas va-t-il permettre de renoncer au projet de taxe sur les produits HFC ?
D. C. : Rien n’est moins sûr. Si la taxe HFC (sur les hydrofluorocarbures) entre en vigueur au 1er janvier 2025 (suspendu au vote du PLF), cela va à nouveau imposer des coûts supplémentaires sur les réfrigérants utilisés dans les systèmes de climatisation et de réfrigération. Cette taxe vise théoriquement à réduire l’utilisation de réfrigérants à fort GWP. Or c’est déjà l’objet du règlement F-Gas dont les clauses ont été très fortement durcies. C’est une véritable surtransposition de la directive européenne. La taxe va augmenter en France les coûts de production des systèmes HVAC et donc leur compétitivité par rapport aux solutions fossiles, donc retarder le processus de décarbonation. Le timing est aberrant par rapport au règlement F-Gas : en effet, le surcoût pour les industriels générera un très faible bénéfice pour les finances publiques du fait de la mise en place d’un processus de collecte lourd pour une période très limitée.
La fiscalité des énergies gaz et électricité vous paraît-elle en cohérence avec la transition vers le bas carbone ?
D. C. : La réponse est à nouveau négative car la différence de taxation entre le gaz et l’électricité crée une distorsion à contresens sur le marché de l’énergie alors qu’elle devrait jouer un rôle central dans la compétitivité des solutions bas carbone. Partout en Europe, le gaz naturel reste moins cher que l’électricité, ce qui rend les PAC (alimentées avec de l’électricité) moins attractives à l’usage que les chaudières gaz. Un meilleur équilibrage du levier fiscal sur les énergies pourrait accélérer la transition en améliorant le coût d’usage des PAC. L’outil fiscal devrait être fondé sur le poids carbone des énergies et donc être utilisé pour promouvoir les technologies à faible émission, y compris celles utilisant le biométhane en substitution du gaz naturel fossile. Ce n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui.

Le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, MACF (CBAM), est-il favorable aux industriels européens qui produisent localement ?
D. C. : Dans l’état actuel des choses, ce mécanisme s’applique aux matières premières mais pas aux produits manufacturés du secteur HVAC. Il faut absolument protéger l’industrie européenne en imposant aux produits importés les mêmes exigences qu’à ceux produits au sein de l’UE : donc étendre le MACF aux produits finis, en particulier pour les chauffe-eau thermodynamiques. Sinon, nous subirons des coûts additionnels (coût du CO₂ dans l’acier) qui viendront obérer la compétitivité de nos produits fabriqués en Europe. Alors que l’Europe importera de l’acier non taxé sous forme de produits finis. Enfin, la bureaucratie liée à ces régulations nécessite un temps d’adaptation et des ressources importantes pour fournir des preuves détaillées des émissions générées tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Les industriels européens sont-ils suffisamment soutenus financièrement pour réussir cette transition bas carbone ?
D. C. : Bien que certaines subventions et incitations existent, comme le crédit d’impôt pour l’industrie verte (C3IV) dont nous bénéficions en France pour notre nouveau site du Grand Chalon, le soutien financier n’est pas suffisant pour compenser le supplément d’investissements nécessaires et lutter contre la concurrence asiatique, qui produit en plus grande quantité et à plus bas coûts (de l’ordre du tiers par rapport aux industriels européens de l’Ouest en ce qui concerne la masse salariale des usines). L’éco-conditionnalité des aides aux ménages doit également être un soutien à l’industrie française, à condition d’une mise en place suffisamment progressive pour rester incitative à la relocalisation des productions. En France, le marché de la PAC en 2024 sera de l’ordre de 200 000 pièces vendues, dont une grande partie importée (contre 350 000 en 2022). On est très loin des ambitions du plan industriel « pompes à chaleur » annoncé par le gouvernement français en avril 2024 qui avait pour objectif une production d’1 million d’appareils en France en 2027. Sans une relance volontariste du marché, rien ne changera ! Nous attendons une reprise du dossier par le nouveau gouvernement français, mais aussi par la nouvelle Commission européenne car un plan PAC avait été annoncé à la fin de la précédente mandature.
Au final, comment lever les freins rencontrés par le secteur HVAC pour accélérer la transition bas carbone des bâtiments ?
D. C. : Pour accélérer cette transition bas carbone, les industriels du secteur HVAC appellent à une simplification des réglementations aux échelles européenne et nationale ; une réduction des taxes sur les énergies peu carbonées; et une programmation pluriannuelle des aides publiques pour donner confiance à tous les acteurs, y compris au client final qui achète les PAC. La transition implique non seulement des changements technologiques mais aussi des efforts de formation de toutes les parties prenantes de la filière. Nous réclamons toujours et encore une meilleure coopération entre les gouvernements, les régulateurs et les industriels, qui permettrait de définir des objectifs et des moyens plus réalistes et donc atteignables. Dans bien des cas le mieux s’avère être l’ennemi du bien. On peut prendre l’exemple en France du débat sur les rénovations d’ampleur par rapport aux mono-gestes. C’est un débat théorique qui ne prend pas en compte la réalité du terrain : les coûts et les délais de mise en œuvre sont sans commune mesure. Le remplacement d’un système de chauffage à énergie fossile par une PAC apporte un bénéfice écologique évident et immédiat. C’est pourquoi il est impératif de conserver le mono-geste dans le dispositif MaPrimRénov’.