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« Transition écologique, adaptation au réchauffement et développement soutenable reposent sur la mobilisation de tous »

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Les économies, française et européenne, connaissent un passage à vide et la transition énergétique risque d’en faire les frais. Pensez-vous qu’il faille ralentir l’effort ou au contraire le conforter ?

Christine Lavarde : Sans hésiter, j’affirme qu’il est indispensable de conforter l’effort en faveur de la transition énergétique, de manière à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre. Cet effort ne peut plus reposer uniquement sur L’État. En effet, l’état de nos finances publiques a eu pour conséquence une annulation en cours de gestion 2024 des crédits affectés à la transition.
Cet effort doit également être soutenu à l’échelle internationale car les enjeux du réchauffement climatique concernent tous les humains. La Chine a émis 15,3 Gt CO2eq en 2021 quand les États-Unis en émettaient 5,8 et l’Union européenne 3,5. Les pays européens ne sont plus les principales sources de pollution mais ont valeur d’exemple pour le reste du monde, avec une baisse des émissions européennes de presque 30 % par rapport au niveau de 1990 et de 4,7 % pour la France entre 2022 et 2023.
Au-delà de la transition énergétique, je pense que nos sociétés doivent renforcer leurs efforts d’adaptation. Les effets du changement climatique sont déjà là. Les événements climatiques ont gagné en intensité, engendrant des catastrophes naturelles aux coûts économiques importants. Le marché de la réassurance a augmenté de 56 % en cinq ans (2018-2022), principalement du fait des risques climatiques et numériques.

Les événements climatiques ont gagné en intensité,
engendrant des catastrophes naturelles aux coûts économiques importants.

Le PNIEC a réaffirmé la nécessité de développer les usages de l’électricité bas carbone pour tenir nos objectifs climatiques. Cependant, cette pénétration accrue de l’électricité n’a pas démarré. Faudrait-il envisager une politique plus active en matière de prix, de fiscalité, de réglementation, de communication ?

C. L. : À l’occasion de l’augmentation brutale des prix de l’énergie, chacun a pris conscience de notre dépendance à l’électricité. Avec l’électrification des usages (chauffage, mobilité, processus industriel), la sensibilité-prix de l’économie sera encore plus forte. Nous devons avoir ce paradigme en tête. Selon les différents scénarios de prospective de RTE, nous serons plus ou moins concernés.
Aujourd’hui, la pénétration de l’électricité peut se heurter à des considérations techniques. Un moteur électrique n’offre pas, actuellement, des capacités de puissance et d’emport équivalentes à celles d’un moteur fonctionnant au biogaz ou à l’hydrogène. La voiture électrique est une technologie éprouvée mais son développement à grande échelle suppose un réseau de recharge dense. À fin août 2024, 147 000 bornes accessibles au public ont été installées, ce qui est un réel progrès mais on est encore loin des 400 000 bornes considérées comme nécessaires en 2030.
Avec le développement de l’usage de l’électricité, et des batteries qui en sont les corollaires, notre autonomie diminue. Notre économie est dépendante de matériaux critiques tels que le lithium, le nickel, le cuivre, ou l’uranium, tous nécessaires à la production ou à l’entretien des infrastructures électriques. Quelles sont les conditions de travail dans ces pays ? L’extraction est-elle respectueuse de l’environnement ?
Quel est le bilan carbone du transport sur de longues distances des matières premières brutes ou transformées ? Au-delà des considérations géopolitiques, ce sont autant de questions que nous devons nous poser avant d’affirmer que l’électrification des usages en France et en Europe est la meilleure solution à l’échelle de la planète pour lutter contre le changement climatique. Peut-être serait-il plus efficace de soutenir la décarbonation des économies en transition ?

Après plusieurs années de montée en puissance, la dynamique de rénovation des logements s’est tassée au premier semestre 2024 comme en témoignent les résultats de MaPrimeRénov’ bien que l’enveloppe ait été revalorisée lors la précédente loi de finances. Quels en sont les causes ? Comment relancer la dynamique ?

C. L. : Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024 a apporté des évolutions au dispositif qui allaient dans le bon sens. Jusqu’à cette date, MaPrimeRénov’ ne répondait qu’imparfaitement à l’enjeu de la transition énergétique. Les aides apportées soutenaient plus le pouvoir d’achat par une diminution des factures de chauffage que par la baisse de l’énergie consommée. D’après les documents budgétaires annexés au PLF 2023, seuls 2 100 logements étaient sortis du statut de passoire thermique en 2021, très loin de l’objectif des 80 000 logements. La Cour des comptes a estimé dans un rapport de 2021 que 86 % des travaux entrepris étaient « mono-gestes », et qu’il s’agissait dans 72 % des cas d’un simple changement de chauffage. Or les travaux de rénovation énergétique « mono-gestes » ont peu d’effet sur la réduction de la consommation énergétique du bâtiment.
Le nouveau dispositif d’aides, dans sa version PLF 2024, devenait réservé aux propriétaires faisant plusieurs types de travaux, dans l’idée de soutenir plus fortement les chantiers les plus efficaces. Mais plusieurs conditions ont découragé les candidats à la rénovation : se faire aider par un accompagnateur de travaux certifiés (parfois introuvable dans certaines régions) ; faire réaliser les travaux par des artisans certifiés RGE (également parfois introuvables dans certaines régions) ; disposer de moyens financiers plus importants (les chantiers sont plus gros). Les organisations professionnelles du bâtiment n’ont pas hésité à évoquer un « coup d’arrêt aux chantiers de rénovation ». Un décret est venu assouplir en cours d’année les conditions pour les particuliers : il leur est de nouveau possible d’entreprendre des travaux « mono-gestes » jusqu’au 31 décembre 2024.
La politique de rénovation énergétique des bâtiments suppose le développement d’un réseau d’artisans compétents dans ce domaine. Avec la massification des aides, on ne peut exclure le développement en parallèle d’une filière de « l’escroquerie » à la rénovation thermique des bâtiments, à l’instar de ce qui s’est produit pour l’installation de panneaux photovoltaïques.

La Cour des Comptes a recommandé des adaptations significatives de la fiscalité qui pèse sur les énergies. Est-il souhaitable de relancer une fiscalité carbone ? Comment peut-on parvenir à financer un effort d’investissement que toutes les études (1) évaluent entre 60 et 80 M€ supplémentaires par an ?

C. L. : Souvenons-nous du mouvement des gilets jaunes à l’automne 2018. La hausse de la fiscalité carbone prévue dans le PLF 2019 a été perçue comme « punitive ». La hausse pesait davantage sur les ménages que sur les entreprises et touchait particulièrement les foyers les plus défavorisés vivant dans les zones rurales. La consommation de ces ménages est contrainte : ils ne choisissent pas volontairement de rouler dans une voiture diesel et de se chauffer au fioul. Je crois aux effets de la fiscalité comportementale pour infléchir les comportements des agents économiques qui ont le choix. Cependant pour qu’elle soit socialement acceptée, il faut apporter des aides efficaces à ceux qui subissent. La fiscalité comportementale ne doit pas être une fiscalité de rendement ; elle doit être la source de financement du changement.

(1) Nous nous référons ici aux études de France Stratégie (Pisani-Ferry/Mabjouj), d’I4CE, de la DG Trésor et de Rexecode.

Christine Lavarde
Christine Lavarde
sénatrice des Hauts-de-Seine
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