La limitation des émissions de CO² dans les constructions neuves : une mesure pensée dès l’origine comme un moyen d’équilibrage de la RT 2012
L’examen du projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte a commencé en séance plénière au Sénat le 10 février 2015. Le texte avait été adopté par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014.
Comme évoqué dans un précédent article, la rédaction du projet de loi adoptée par les députés prévoit la prise en compte anticipée dès 2018 des émissions de gaz à effet de serre dans l’évaluation de la performance énergétique des constructions neuves, à l’origine prévue pour être mise en œuvre en 2020, à l’occasion de l’entrée en vigueur de la prochaine règlementation thermique (RT 2020).
La mise en place anticipée de la limitation des émissions de CO² émises par une construction neuve impliquera donc, si elle est validée à l’issue du processus parlementaire, de modifier la méthode de calcul de la RT 2012, règlementation thermique en vigueur et controversée en raison de son rôle dans la chute constatée[1] du nombre de constructions électriques neuves.
Une mesure à l’origine censée garantir une concurrence effective dans le secteur de la construction neuve dès l’entrée en vigueur de la RT 2012
L’origine du principe de prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans l’évaluation de la performance énergétique des constructions neuves remonte à la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, dite « loi Grenelle I ».
L’article 4 de cette loi prévoyait en effet que la consommation d’énergie primaire maximale autorisée par la future RT 2012 sera « modulée afin d’encourager la diminution des émissions de gaz à effet de serre générées par l’énergie utilisée » et qu’une « étude de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques OPECST sera réalisée afin de proposer un niveau pertinent de modulation pour respecter les objectifs fixés […] et de mesurer l’impact économique de l’ensemble du dispositif prévu ; cette étude examinera également les questions liées aux facteurs de conversion d’énergie finale en énergie primaire ».
Cette étude parlementaire, conduite par les députés Christian Bataille et Claude Birraux et rendue publique le 3 décembre 2009, préconisait, afin de « favoriser la mise en place d’un cadre règlementaire fortement incitatif pour le développement de technologies performantes », le maintien du coefficient de conversion en énergie primaire de l’électricité de 2,58 et la fixation d’un plafond pour les émissions de CO² (5 kg/m²/an). Combinées ensembles, ces deux mesures étaient censées garantir une concurrence saine et loyale entre les différentes sources d’énergie dans le secteur de la construction : le coefficient de conversion de 2,58 dissuaderait le recours au « tout électrique » et le plafond pour les émissions de CO² ferait de même pour le « tout-gaz ».
Le Gouvernement de l’époque avait cependant choisi, dans un contexte de remise en cause de l’avantage de l’électricité dans la construction neuve, de conserver le coefficient de 2,58 mais de ne pas faire sienne la proposition de l’OPECST concernant le plafond des émissions de CO². Cette disposition ne figurait donc pas dans la version d’origine du projet de loi portant engagement national pour l’environnement, aujourd’hui connu sous le nom de « loi Grenelle 2[2] ».
A la suite des débats parlementaires particulièrement tendus, un compromis avait cependant été trouvé entre le Gouvernement et les députés Christian Bataille et Claude Birraux : le plafond des émissions de CO² serait bien prévu mais sa mise en œuvre n’aurait lieu qu’en 2020, afin de donner aux autorités publiques le temps de trouver une méthode de calcul satisfaisante.
Une mesure redevenue d’actualité à l’occasion de l’examen parlementaire du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte
La mise en place anticipée d’un plafond des émissions de gaz à effet de serre a depuis été régulièrement évoquée afin de compenser les conséquences négatives constatées du coefficient de conversion en énergie primaire de 2,58 sur les logements électriques même si ces discussions n’avaient jusqu’à présent pas débouché sur des annonces concrètes.
L’examen parlementaire du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte à l’Assemblée nationale, en octobre 2014, a été l’occasion de rouvrir le débat avec l’adoption, lors des travaux en commission, d’un amendement déposé par François Brottes, Président de la Commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale et de la Commission spéciale pour l’examen du projet de loi. Cet amendement a donné l’occasion au Gouvernement et les parlementaires de discuter et de reconnaître, au cours de l’examen du texte en séance plénière, la nécessité de mettre en conformité le dispositif de la RT 2012 avec les nouveaux objectifs de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique (réduction de 40% des émissions de CO² entre 1990 et 2030 et division par quatre des émissions entre 1990 et 2050). Le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale le 14 octobre 2014 avance donc à 2018 la date d’entrée en vigueur de la modulation CO² dans la règlementation thermique applicable aux constructions neuves, au lieu de 2020.
François Brottes est revenu sur la problématique de la modulation CO² au cours de l’atelier-débat du 10 février 2015 de l’association « Equilibre des énergies » sur “Comment le projet de loi relatif à la transition énergétique va-t-il relancer l’économie ?”. Il a ainsi rappelé qu’un logement isolé avec des équipements performants permettant d’assurer un réel niveau de confort est « la solution » aux enjeux de l’efficacité énergétique et de réduction des émissions de CO² dans le logement. Selon lui, la France dispose de « solutions merveilleuses d’efficacité énergétique » mais celles-ci ne pourront être déployées que si l’on ne « tue pas la capacité d’utiliser l’électricité dans les logements ». Enfin, François Brottes a appelé la filière du bâtiment à se concerter davantage pour faciliter la transition vers le logement de demain.
La décision des députés d’avancer à 2018 la mise en œuvre de la modulation CO² dans la RT 2012 est en phase avec les initiatives mises en place par les pouvoirs publics depuis plusieurs mois et les attentes exprimées par de nombreux acteurs du secteur de la construction :
- Le bâtiment représente, d’après l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie (ADEME), près du quart des émissions nationales de gaz à effet de serre. Compte tenu des ambitions affichées par le Gouvernement en matière de lutte contre le réchauffement climatique[3], il n’était pas pertinent d’attendre encore 5 ans pour s’attaquer à cette problématique, d’autant plus que la RT 2012 est controversée pour avoir complexifié la construction de logements électriques et profité aux solutions fossiles importées, pourtant fortement émettrices de gaz à effet de serre ? ;
- La prise en compte anticipée de la performance des sources d’énergie utilisées en matière d’émission de gaz à effet de serre est, depuis l’origine, pensée comme un point d’équilibre avec le coefficient de conversion en énergie primaire de 2,58 (pour rappel, ce coefficient signifie qu’un logement électrique ne peut consommer plus de 19,4 kWh/m²/an en énergie finale contre 50 kWh/m²/an pour les logements alimentés par une autre source d’énergie). L’application anticipée de la modulation CO² peut donc être vue comme un retour à l’équilibre de la RT 2012 et un moyen d’offrir plus d’options aux professionnels de la construction. Des acteurs majeurs du secteur de la construction tels que l’Union des Maisons Françaises (UMF) ou encore la Fédération Française du Bâtiment (FFB) ont d’ailleurs rappelé que l’augmentation des coûts du prix du logement neuf était notamment liée aux conséquences de la RT 2012 sur le coût des solutions électriques, rendues particulièrement onéreuses par rapport aux solutions gaz. Ce sujet sera d’ailleurs évoqué plus en détails au cours de l’atelier-débat de l’association « Equilibre des énergies » du 3 mars prochain sur « Quelles solutions immédiates pour aider les primo-accédants et relancer l’accession sociale en maison particulière ?« , en présence de Patrick Leleu, Président du groupe Geoxia et membre du Conseil d’administration de l’UMF ;
- Certains équipementiers semblent également favorables à cette anticipation, à en juger par les différentes actions en justice lancées pour ce motif contre la RT 2012 au cours de ces dernières années ;
- Les pouvoirs publics et le secteur du bâtiment n’attendront pas de facto 2020 pour trouver des solutions permettant la prise en compte des émissions de gaz à effet de serre dans l’évaluation de la performance énergétique des constructions neuves. A titre d’exemple, le Ministère du Logement, de l’Egalité des territoires et de la Ruralité travaille depuis maintenant près d’un an sur un « label environnemental» qui devrait être rendu public cette année. Ce label, qui permettra aux professionnels du secteur du bâtiment d’anticiper la future RT 2020, devrait ainsi assurer la prise en compte d’autres facteurs que la performance énergétique, parmi lesquels les émissions de gaz à effet de serre.
La discussion au Sénat en séance publique du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte est prévue pour s’achever le 19 février[4]. Aucun amendement n’a été déposé par les sénateurs en vue de remettre en cause l’application anticipée de la modulation CO² dans la règlementation thermique. Cette modulation devrait donc entrer directement en vigueur après promulgation de la loi. Reste à voir quelles en seront les modalités…
Rédigé avec le soutien de Antoine Vitela
[1] Voir notamment les chiffres relevés par l’institut de sondage BatiEtude pour le 1er semestre 2014.
[2] Loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement.
[3] Article 1 du projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte : réduction de 40% des émissions de CO² entre 1990 et 2030 et division par quatre des émissions entre 1990 et 2050.
[4] D’après l’agenda officiel du Sénat, la discussion en séance publique aura lieu les 11, 12, (éventuellement) 13, 17, 18 et 19 février 2015.