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Décarboner l’aérien : coupler solutions technologiques à la nécessaire maîtrise de la hausse du trafic

Par le

Le secteur aérien est pointé du doigt par certains acteurs. Quelle place doit-il occuper dans l’économie ? Faut-il l’encadrer au-delà des dispositions introduites par la loi climat-résilience ?

Romain Eskenazi : Le secteur aérien joue un rôle majeur dans l’économie française avec un chiffre d’affaires de 65 milliards d’euros et une contribution de 4,3 % au PIB. Dans un pays comprenant des territoires d’Outre-mer, première destination touristique mondiale, premier exportateur aéronautique, premier gestionnaire d’aéroport et avec une compagnie nationale parmi les plus importantes au monde, le secteur aérien est stratégique. Mais nous ne pouvons ignorer son impact sur la santé et le climat : alors que l’ensemble des secteurs réduisent leurs émissions, celles du transport aérien continuent d’augmenter, notamment de 2 % entre 2022 et 2023 – et ce malgré des efforts réels de décarbonation – car les améliorations technologiques ne permettent pas de compenser la hausse continue du trafic. La loi climat-résilience a limité certains vols intérieurs lorsque des alternatives ferroviaires existent, mais ces mesures restent insuffisantes. Pour respecter les objectifs climatiques, l’ADEME préconise une réduction du trafic.

Le secteur aérien français a élaboré en 2023 une feuille de route de la décarbonation. Pensez-vous que cette feuille de route soit toujours crédible et compatible ?

R. E. : La feuille de route prévoit une transition vers des carburants d’aviation durables (CAD), mais leur production demeure embryonnaire. Le règlement ReFuelEU Aviation impose une intégration progressive des CAD, avec des objectifs de 2 % en 2025 jusqu’à 70 % en 2050. Or, leur production est encore bien trop faible et leur coût prohibitif. En matière de production industrielle, la France est en retard.
L’aviation à hydrogène ou électrique est un autre axe, mais les premiers modèles commerciaux ne sont pas attendus avant 2035 et seulement pour de courts et moyens courriers. Cette transition nécessite une anticipation des infrastructures aéroportuaires et de la production énergétique.
En l’absence de financements publics renforcés et d’une planification industrielle, la feuille de route risque de rester incompatible avec la réalité.

Le règlement ReFuelEU Aviation pose les jalons d’un remplacement progressif du kérosène par des CAD, mais la filière peine à se développer. La France devrait-elle se donner un objectif d’autonomie et comment pourrait-elle faire pour l’atteindre ?

R. E. : La filière des CAD représente un enjeu stratégique pour la transition écologique, mais aussi pour notre souveraineté énergétique. Cette filière peine à se développer car elle est confrontée à des coûts de production très élevés et à une capacité de production encore largement insuffisante. Il faut investir aujourd’hui pour être autonome demain, notamment dans la production de carburant de synthèse. L’État doit accompagner le lancement des projets. Si nous n’investissons pas, nous remplacerons notre dépendance aux importations de pétrole par une dépendance aux importations de CAD que nous pourrions produire et même exporter au regard de nos capacités de production en électricité décarbonée, indispensable à la fabrication de carburants de synthèse.

Cela passe par des choix politiques :

  • un soutien public ambitieux pour accélérer la recherche et l’industrialisation des carburants de synthèse, en favorisant les acteurs français et européens ;
  • une révision de la fiscalité du transport aérien, via des exonérations, pour inciter les compagnies à aller au-delà des objectifs européens, tout en s’assurant de la confiance des investisseurs.
© Adobestock

Pensez-vous que le produit de la taxe sur les billets d’avion pourrait aider au financement des investissements nécessaires à la décarbonation ? Quel est votre avis sur la fiscalité applicable au transport aérien ?

R. E. : L’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion (TSBA) est une mesure fiscale qui peut contribuer à la maîtrise de la croissance du trafic que j’appelle de mes vœux. Ses recettes doivent être fléchées vers la transition écologique (ferroviaire et décarbonation de l’aviation) et non diluées dans le budget général. La copie du gouvernement a le mérite de faire un pas en ce sens mais manque d’ambition. Néanmoins, une exonération pour les vols vers et au départ des territoires ultramarins est nécessaire afin d’assurer la continuité territoriale.
La taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA) doit être revue également dans sa philosophie, en pénalisant davantage les vols de nuit (22 h-6 h), qui ont le plus d’impact sur la santé des riverains, afin d’inciter à réduire les décollages et atterrissages nocturnes et à l’utilisation d’appareils moins bruyants. Cette révision permettrait d’augmenter les recettes pour mieux financer l’isolation acoustique des riverains. Le surplus pourrait être réinvesti dans le développement des trains de nuit et l’innovation dans l’aéronautique.

Qu’attendez-vous des instances européennes, en termes de régulation et de moyens de financement ?

R. E. : L’Union européenne (UE) doit soutenir massivement la production de CAD. Un fonds européen dédié au développement des carburants alternatifs, financé par une taxe sur les vols les plus polluants, pourrait accélérer cette transition. L’UE peut également s’appuyer sur les marchés de quotas carbone dans l’aérien afin de financer le gap entre le coût élevé du CAD et celui du kérosène, tout en s’assurant de la confiance et de la visibilité pour les producteurs et les compagnies. Pour autant, pour réussir les quotas d’incorporation, il faudra limiter la hausse du trafic.
Il s’agit également de mieux réguler les nuisances sonores, qui restent une préoccupation majeure pour des millions d’Européens vivant à proximité des aéroports. La réglementation actuelle repose sur l’approche équilibrée définie par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et intégrée dans le règlement sur les restrictions d’exploitation liées au bruit dans les aéroports mais force est de constater que celle-ci ne permet pas de réduire efficacement le bruit subi par les riverains.
L’UE doit aller plus loin en fixant des seuils de bruit contraignants et en introduisant des objectifs chiffrés. Les États membres doivent pouvoir imposer des restrictions, notamment des plafonnements de vols et des réductions des vols de nuit, pour protéger la santé des populations. Les impacts sanitaires, en particulier la nuit, sont aujourd’hui démontrés. Dans mon département où se situe l’aéroport Paris-Charles-de-Gaulle, les habitants vivant à proximité de la plateforme ont jusqu’à trois ans de vie en bonne santé en moins.

© Adobestock

L’articulation entre transports ferroviaire et aérien est souvent questionnée. Pensez-vous qu’il y ait matière à progresser ?

R. E. : Le rail doit devenir la colonne vertébrale des mobilités intra-européennes. L’interdiction française de certains vols intérieurs pourrait être étendue si des alternatives ferroviaires performantes existent. L’intégration du train dans le parcours voyageur aérien, via des billets combinés et des correspondances optimisées, doit devenir la norme. L’Europe doit fixer des objectifs de report modal vers le train et investir massivement dans les infrastructures ferroviaires. Une meilleure coordination entre compagnies ferroviaires et aériennes est essentielle pour assurer une transition fluide et réduire la dépendance au transport aérien pour les trajets courts. Enfin, la fiscalité doit être alignée entre l’aérien et le ferroviaire pour assurer une concurrence équitable. L’aviation bénéficie d’avantages fiscaux considérables qui faussent le jeu face au train : un billet de train est encore trop souvent bien plus cher qu’un billet d’avion. Des réformes doivent être menées pour inciter les passagers à privilégier des modes de transport plus vertueux.

Romain Eskenazi
Romain Eskenazi
député de la 7e circonscription du Val-d’Oise
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