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Vers une économie décarbonée en 2050 : l’Europe a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Emissions de gaz à effet de serre
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La Commission européenne prépare une « Stratégie de long terme pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre » en Europe, à l’horizon 2050. Le texte, dont la publication est prévue en novembre 2018, fixe un objectif ambitieux : éliminer les émissions de carbone en 2050. Sachant que les experts s’interrogent sur la capacité de l’UE à respecter l’Accord de Paris à l’horizon 2030, on doit se demander si les objectifs européens sont réalisables.


Les émissions de gaz à effet de serre (dont le dioxyde de carbone, CO2, représente plus de 80 % du total) ont été l’un des chevaux de bataille de la Commission Juncker. De nombreux paquets législatifs adoptés, ou quasi adoptés, fixent des objectifs contraignants pour réduire les émissions à l’horizon 2030, dans les principaux secteurs de l’économie : en particulier l’énergie, les transports et le bâtiment.

À moins de huit mois des prochaines élections européennes, la Commission prépare sa « Stratégie de long terme » pour continuer l’effort dans les 30 prochaines années, avec comme objectif une économie presque complètement décarbonée en 2050. Ceci parachève les engagements politiques et législatifs existants, et nous donne la feuille de route illustrée par la figure 1.

TOUS LES SECTEURS SONT CONCERNÉS, MAIS CERTAINS PLUS QUE D’AUTRES…

Tous les principaux secteurs responsables des émissions sont concernés : l’énergie, le bâtiment, les transports, l’industrie et l’agriculture. Pourtant, c’est clairement sur les deux premiers que la Commission porte ses plus grands espoirs. Selon elle, l’énergie et le bâtiment pourraient « presque totalement » éliminer leurs émissions de CO2 d’ici à 2050 (-90 % par rapport aux niveaux de 1990), grâce à une réduction drastique des combustibles fossiles et des sources polluantes dans le mix énergétique, et grâce à de meilleures performances énergétiques dans les bâtiments neufs ou rénovés (technologies passives, chauffage électrique, pompes à chaleur…).

Les autres secteurs sont aussi visés à des niveaux importants : -80 % dans l’industrie grâce à des technologies propres comme les systèmes de captage/stockage du carbone et un ETS amélioré, et -60 % dans les transports grâce au développement des véhicules hybrides ou électriques et des biocarburants. Pour l’agriculture, les progrès espérés sont modestes, voire marginaux, en raison de la croissance démographique mondiale et de la résistance attendue des syndicats agricoles.

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OÙ EN EST-ON AUJOURD’HUI ?

L’objectif de réduction de 20 % des émissions en 2020 par rapport aux niveaux de 1990 a été atteint, et même dépassé. En 2015, l’UE émettait 4 452 millions de tonnes de CO2, soit 22 % de moins qu’en 1990. Mais les perspectives sont inquiétantes pour l’après 2020 : en tendance, les experts estiment que l’Europe n’atteindra pas son objectif 2030 (32 % au lieu de 40 %), ni les suivants.

Les 28 ont enregistré une hausse des émissions de carbone en 2017 : +1,8 % par rapport à l’année précédente. 21 pays figurent parmi les mauvais élèves, dont la France (+3,2 %), l’Italie (idem), l’Espagne (+7,4 %), et quasiment tous les pays d’Europe centrale et orientale, à l’exception de la Lettonie. L’Allemagne stagne (-0,2 %), mais affiche une perspective négative en raison du recours accru à des centrales à charbon.

Objectifs européens de réduction des émissions de gaz à effet de serre

FACTEURS CONJONCTURELS ET FACTEURS STRUCTURELS

Parmi les explications de ce médiocre résultat, la reprise de la croissance économique (+2,3 % en zone euro en 2017) tire la demande énergétique. Les sécheresses et la faible pluviométrie (dans le sud de l’Europe) ainsi que les défaillances de certains sites nucléaires (en France) expliquent aussi le regain des émissions de carbone. Quand les énergies propres sont inactives, les combustibles fossiles prennent le relai

Mais il existe aussi des facteurs structurels : la composition du mix énergétique national et l’intensité carbone qui en découle. Ces deux variables diffèrent fortement d’un pays européen à l’autre.

DES ÉCARTS NATIONAUX IMPORTANTS

En 2017, l’Allemagne et la Pologne représentent à elles deux un tiers des émissions de CO2 dans l’Europe. Ces deux pays comptent parmi les plus gros utilisateurs de charbon dans leur mix énergétique national. Outre-Rhin, Mme Merkel a annoncé la fermeture de toutes les centrales nucléaires d’ici à 2022 et ambitionne de faire de l’Allemagne un champion des renouvelables. En Pologne, le programme nucléaire civil n’a toujours pas abouti et les renouvelables sont encore quasi inexistantes. Dans les faits, Berlin et Varsovie remplacent le nucléaire par le charbon.

À l’évidence, les pays avec la plus faible intensité carbone ont bien souvent un mix énergétique plus équilibré : la France (35 g CO2/kWh en 2014) et la Suède (10 g CO2/kWh), par exemple, alternent essentiellement entre le nucléaire et les renouvelables.

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DÉCARBONER L’ÉCONOMIE EUROPÉENNE : AVANT TOUT UN CHOIX POLITIQUE

En 1953, le Premier ministre Pierre Mendès-France déclare devant l’Assemblée nationale : « Gouverner, c’est choisir, si difficiles que soient les choix (…). Cela ne veut pas dire forcément éliminer ceci ou cela, mais réduire ici et parfois augmenter ; en d’autres termes, fixer des rangs de priorité. ». Cette maxime illustre parfaitement la situation européenne : l’Europe a les moyens de décarboner son économie, si tant est qu’elle ose affronter les choix politiques qui en découlent.

Dans le secteur énergétique, la question du nucléaire est fondamentale. Depuis trop longtemps les responsables politiques l’ignorent ou la contournent.L’accident de Fukushima (2011) a relancé les oppositions au nucléaire et l’on compte désormais 10 pays européens sans centrale nucléaire et trois qui envisagent une sortie imminente. Dans le secteur des transports, le « diesel-gate » a accéléré les décisions en faveur d’un parc automobile hybride ou électrique (mais peut-on vraiment recharger des millions de véhicules électriques sans le nucléaire ?). Dans le secteur du bâtiment, la réglementation technique pénalise encore l’électricité, même « verte », par rapport aux énergies carbonées.

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UN MANQUE DE LEADERSHIP AGGRAVÉ PAR UN TRAITÉ DE LISBONNE LAXISTE

Le leadership politique est fâcheusement absent de l’Union européenne. Ce n’est pas nouveau, mais la tendance est profondément inquiétante à cet égard. Les élections européennes de mai 2019 adresseront sans aucun doute un message très négatif à l’UE et l’on espère que ce message conduira les chefs d’État et de gouvernement à choisir un président de la Commission et des commissaires à la hauteur.

Mais cela ne suffira pas car le mix énergétique demeure national et cette contrainte exclut toute harmonisation réelle des politiques énergétiques nationales. Seule une réforme des traités européens, par ailleurs nécessaire pour simplifier la gouvernance bureaucratique de l’Union, permettra – peut-être – de communautariser enfin la politique énergétique de l’UE, pour le plus grand bénéfice de ses citoyens.


Daniel Guéguen,
Associate Partner,
EPPA Consulting – Bruxelles

Thomas Tugler,
Account Manager,
EPPA Consulting – Bruxelles


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