Chypre succédera au Danemark à la présidence de l’Union européenne à compter du 1er janvier 2026. Connue des touristes, pour ses plages, ses paysages et sa culture, elle se distingue par des caractéristiques singulières au sein de l’espace européen.
Située dans un territoire insulaire à moins de 250 km de distance de Beyrouth et avec une superficie de 5 896 km21, soit un peu moins que la superficie de la Corse, la République de Chypre constitue une exception au sein de l’Union européenne. Sa spécificité géographique se double de complexités géopolitiques au regard du conflit gelé avec la Turquie, qui a abouti en 1983 à l’auto-proclamation de la République turque de Chypre du Nord (RTCN) occupant la partie nord de l’île.
Alors que la trajectoire de décarbonation mise en place dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe est aujourd’hui appelée à se concrétiser dans l’ensemble des États membres, les spécificités de Chypre présentent autant de contraintes que d’atouts pour lui permettre de réduire ses émissions et de renforcer son autonomie énergétique.
D’une dépendance pétrolière à une autonomie énergétique en construction
Avec un mix énergétique reposant à 85 % sur le pétrole, Chypre affichait, en 2022, la plus forte empreinte de gaz à effet de serre de l’Union européenne avec en moyenne 16,6 t de CO₂eq par habitant et par an, devançant nettement le Luxembourg (15,5 t) et l’Irlande (14,2 t).
Le poids du pétrole dans son bilan énergétique entraîne pour Chypre une forte dépendance aux importations puisque le pays ne dispose pas à ce jour de ressources pétrolières en exploitation, ni même de raffinerie sur son territoire.
Cette situation de dépendance pourrait toutefois se résorber voire se renverser avec la découverte depuis 2011 de plusieurs gisements de gaz naturel dans la ZEE (zone économique exclusive) de Chypre. Parmi ces gisements, le champ Aphrodite situé à environ 170 km au sud de Limassol, à plus de 1 700 mètres de profondeur, contiendrait 127 milliards de m³ de gaz naturel, soit trois fois la consommation annuelle de la France. Aujourd’hui opéré par Chevron, la production commerciale sur le site Aphrodite est prévue pour dé- marrer autour de 2027–2028.
À ce projet s’ajoutent d’autres sites découverts entre 2018 et 2022, notamment : Calypso et Cronos, opérés par Eni, Zeus opéré par Eni et TotalEnergies et Glaucus opéré par ExxonMobil et QatarEnergy.
Ces nouveaux gisements pourraient représenter au total entre 435 et 605 milliards de m³ de gaz naturel avec une exploitation commerciale qui démarrerait au plus tôt en 2027 pour les sites Cronos et Zeus et autour de 2030 pour les sites Calypso et Glaucus.
Le développement de ces sites permettrait à Chypre non seulement de couvrir l’ensemble de sa consommation de gaz, mais également de devenir un exportateur de gaz naturel au sein de l’Union européenne, si les infrastructures de transport du gaz peuvent être mises en place et si les contestations avec la Turquie sur la délimitation de la ZEE chypriote peuvent être aplanies.
En parallèle de l’exploration de ces projets gaziers, l’essor des renouvelables constitue également pour Chypre une opportunité de développer son autonomie énergétique. Le pays bénéficie en effet d’un niveau d’ensoleillement favorable qui a permis à la production d’électricité renouvelable, et particulièrement de solaire photovoltaïque, de connaître une progression très rapide au cours des dernières années passant de 9,8 % du mix énergétique en 2019 à 24 %, dont 19 % de solaire, en 2024.
Le solaire thermique, en particulier, constitue un succès national avec 93,5 % des foyers utilisant l’eau chaude solaire, plaçant Chypre parmi les leaders mondiaux de ce secteur.

Un double verrou stratégique : isolement énergétique et tensions régionales
Ces développements se heurtent toutefois à la situation géopolitique très particulière de Chypre, à la fois isolée du reste du territoire européen et à proximité de la Turquie avec qui les tensions restent vives depuis la partition de l’île.
Dès leur lancement en 2007, les opérations liées à la recherche et au forage dans le bassin levantin sont confrontées à de multiples manœuvres d’intimidation de la part de la Turquie visant à ralentir ou dissuader l’exploitation des sites découverts. Entre 2017 et 2018, la Turquie envoie ainsi des navires de recherche et des navires de la marine turque pour prospecter dans les eaux de la ZEE. En février 2018, un navire d’Eni autorisé par Chypre est empêché par la marine turque d’accéder à un site de forage. Ces incidents continuent à se produire jusqu’à aujourd’hui, entraînant des retards dans l’exploitation gazière.
Les tensions avec la Turquie impactent également le développement du réseau électrique rendu nécessaire par la montée en puissance des énergies renouvelables à Chypre.
En effet, Chypre étant à ce jour entièrement déconnectée du réseau européen, elle est contrainte de recourir à un niveau très élevé de curtailment de l’électricité produite pour éviter la surcharge de son réseau. L’Autorité de régulation de l’électricité chypriote (CERA) estime ainsi qu’en 2024, environ 29 % de la production renouvelable disponible ont été volontairement perdus.
Afin de permettre une meilleure gestion de l’intermittence des renouvelables, le développement du réseau électrique et des interconnexions avec les pays voisins est indispensable à la poursuite de leur déploiement.
Dans cette perspective, Chypre s’est engagée dans le projet EuroAsia Interconnector qui doit permettre de relier les réseaux électriques d’Israël, de Chypre et de la Grèce via la Crète. Alors que la mise en service de la ligne était initialement prévue pour fin 2026, la réalisation du projet est mise en pause en mars 2025, à la suite de l’envoi par la Turquie de navires de guerre dans la zone de construction.
La vulnérabilité insulaire face à la transition énergétique des secteurs aérien et maritime
En parallèle de ces efforts pour construire son indépendance énergétique, Chypre devra également faire face, à moyen terme, aux enjeux de la transition énergétique des secteurs aérien et maritime. Ces deux secteurs revêtent une importance stratégique pour l’économie nationale : le tourisme représente environ 20 % du PIB, et le pays dispose du troisième plus grand registre de navires de l’Union européenne, avec plus de 22 millions de tonnes de jauge brute enregistrées.
Dans ce contexte, la mise en œuvre du cadre européen issu du Pacte vert, notamment à travers les règlements ReFuelEU Aviation et FuelEU Maritime, impose des objectifs ambitieux de décarbonation qui pourraient entraîner un renchérissement significatif des coûts de transport, en raison de l’obligation progressive d’incorporer des carburants durables, significativement plus chers que les carburants fossiles conventionnels. Sans un soutien adapté aux filières aérienne et maritime et à la production de ces carburants durables, la hausse des coûts due à l’effort de transition pourrait alors se traduire par une baisse du trafic aérien et maritime, avec des conséquences économiques lourdes pour un pays insulaire fortement dépendant de ses connexions extérieures.