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Peut-on parler de territoires à énergie positive ?

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Territoires à énergie positive, communautés énergétiques locales, écoquartiers… sont autant de concepts montrant la forte appétence des consommateurs pour l’autonomie énergétique. Pourtant, leurs contours restent flous et leur définition imprécise.

La décentralisation au service de la transition énergétique

La transition énergétique place les territoires au coeur de nombreux enjeux : développer des villes durables, rendre les consommateurs acteurs de leur consommation, accueillir et stimuler des énergies renouvelables, permettre la décarbonation des transports via le développement de la mobilité…

La baisse des coûts des ENR, les smart grids, le développement des outils numériques, l’arrivée du véhicule électrique et, à plus long terme, des technologies stationnaires de stockage d’électricité, sont autant de facteurs qui induiront un modèle plus décentralisé, moins top-down mais dont les contours sont encore incertains.

Ces évolutions techniques sont accompagnées de profondes évolutions sociétales : fort tropisme des consommateurs vers l’autonomie énergétique, la croissance verte, les préoccupations climatiques et l’attirance pour des modèles alternatifs développés à l’étranger. L’évolution de l’organisation actuelle pourrait ainsi mener ainsi à un système énergétique articulé autour des niveaux centraux, territoriaux et locaux, constitué de boucles locales, d’écoquartiers et de réseaux domiciliaires.

Le contexte législatif et réglementaire accompagne voire précède ces évolutions. Le concept de « communauté énergétique locale » apparaît dans les projets de directives européennes de novembre 2016 (dit « Clean Energy Package ») alors que la loi relative à la transition énergétique d’août 2015 a posé le principe du développement de « territoires à énergie positive » et a permis d’organiser, à titre expérimental, sur des portions de réseau, des services locaux de flexibilité et a entendu faciliter le déploiement de réseaux électriques intelligents. Les collectivités territoriales se voient attribuer un rôle plus important dans le choix et la gestion de leur mix énergétique. En 2017, des décrets ont ouvert aux réseaux fermés de distribution et à l’autoconsommation collective la possibilité de se développer.

Beaucoup de questions restent en suspens

Quel périmètre pour un territoire ?

La notion de « territoire » est extrêmement souple dans son acception, pouvant aller du quartier jusqu’à des entités géographiques de la taille d’une région, en passant par les communes, communautés de communes ou encore départements. La tendance actuelle est de se limiter aux quartiers, et plus particulièrement aux quartiers neufs, mais les autres échelons ont leur pertinence, à commencer par les régions qui disposent avec la LTECV de nouveaux pouvoirs en matière énergétique et qui sont de taille suffisante pour établir un équilibre offre-demande à l’échelle du territoire.

Les caractéristiques d’un territoire sont variées et dépendent de la géographie, de la densité démographique, de la composition des locaux (habitations, commerces, bureaux), des ressources locales disponibles, des besoins de mobilité et de l’intégration avec les « territoires » voisins ou englobants, en particulier le territoire national.

Qu’est-ce qu’une ressource locale ?

Il est clair que la prise en compte d’une centrale nucléaire ou d’une importante installation de stockage de gaz dénaturerait complètement les concepts de ressources locales et de territoire à énergie positive. Mais cette présence possible implique de définir où doit se situer la limite entre ce qui ressort du niveau local et ce qui doit être considéré comme faisant partie de l’architecture énergétique nationale. Cet exercice de délimitation peut être complexe dans le cas de champs éoliens ou solaires de taille intermédiaire, ou de ressource de biomasse significative comme une forêt domaniale.

Quelles relations entre territoires ?

Un territoire est en règle générale en relation avec d’autres entités (nationales ou locales) pour assurer sa sécurité d’approvisionnement, ou au contraire pour absorber ses excédents de production énergétique. Mais plusieurs territoires peuvent avoir besoin d’une ressource rare au même moment, assurée par exemple par une installation centralisée comme un grand barrage hydraulique, ou bien vouloir injecter simultanément des excédents sur le réseau national alors que celui-ci est congestionné.

De cette dualité entre local et national découlent des règles d’interfaçage à la fois techniques (tension et fréquence pour l’électricité, pression pour le gaz, débit pour les autres fluides…) et économiques (quel prix pour quel service rendu). Par exemple, le réseau centralisé, s’il assure la sécurité d’approvisionnement du territoire, doit être rémunéré en tant que fournisseur d’un service assurantiel.

Plus sur la ville intelligente : Interview d’Emilien Maudet, Directeur solutions Smart Cities – EMBIX

Alors comment définir un territoire à énergie positive

EdEn, pour qui la maîtrise de l’énergie se joue sur le terrain, au plus près de l’utilisateur et de ses préoccupations, s’est penchée sur la question de la définition du concept de « territoire à énergie positive » (TEPOS) et souhaite avancer quelques recommandations.

La première constatation est que la qualification « énergie positive » laisse entendre que l’entité est excédentaire en énergie à chaque moment de l’année et qu’elle pourrait donc vivre en autarcie, ce qui en pratique est très rarement le cas. Il conviendrait plutôt de parler de « territoire bas carbone » ou de « territoire durable ».

La deuxième remarque est qu’un tel territoire n’a de raison d’exister que s’il permet d’atteindre plus facilement les objectifs de la LTECV qu’un système centralisé. Sa contribution doit être appréciée au regard de la valorisation des ressources locales – un terme dont on a vu qu’il restait à définir précisément – généralement renouvelables, en cohérence avec la réalisation de deux objectifs centraux de la loi : efficacité énergétique et maîtrise des émissions de GES.

Par ailleurs, EdEn constate que vouloir établir le bilan énergétique global d’un territoire mène à une impasse tant la comptabilité serait complexe à établir. Il suffit pour s’en convaincre de songer à la difficulté de comptabiliser les dépenses liées à la mobilité.

Lire aussi : EdEn présente son cahier d’acteur PPE : remettre la transition énergétique dans la bonne voie

EdEn suggère en conséquence de centrer la notion de « territoire durable » autour de quatre critères :

1. Les émissions de GES, qui constituent un critère primordial et fédérateur entre les différentes formes d’énergie et entre production et utilisation. Le bilan carbone du territoire doit bien entendu intégrer les siennes propres, mais également celles qu’elles évitent ou occasionnent pour la collectivité au niveau national. Des méthodes existent pour cela qui pourraient être reprises.

2. L’efficacité énergétique, en commençant par celle des bâtiments et en incluant celles des autres installations dès lors que des méthodes d’évaluation sont disponibles, de façon à prendre en compte les synergies à développer pour profiter du foisonnement des usages et synchroniser consommation et production locales.

3. Le ratio d’autosuffisance, avec un critère mesurant à la fois la capacité du territoire à faire face à des incidents de toute nature et son autonomie vis-à-vis du système central. La taille des « cordons ombilicaux » reliant le territoire à son environnement serait en ce sens un bon indicateur. Pour l’électricité, il s’agirait de la puissance garantie souscrite auprès du réseau rapportée à la puissance usuellement nécessaire.

4. La soutenabilité économique pour ses occupants. Ce critère devrait intégrer le coût énergétique complet, le niveau de garantie d’approvisionnement, la qualité du courant… Des règles de gouvernance sont à établir en parallèle, en particulier pour la définition des règles contractuelles liant le territoire à ses occupants.

On le voit, définir un « territoire à énergie positive » est une opération complexe si l’on veut aborder la question sur le fond et en faire autre chose qu’un effet d’annonce.

Etienne Beeker, conseiller scientifique à EdEn

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