En poursuivant votre navigation, vous acceptez l'utilisation de cookies pour mesurer l'audience de notre site.
FERMER

Interview de Gérard Longuet « Le mix énergétique est une de nos priorités »

Par le |

Quelles sont les actions concrètes menées par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dont vous êtes le président ?

Gérard Longuet : L’OPECST est un organe d’information commun à l’Assemblée nationale et au Sénat qui a pour mission d’informer le Parlement des conséquences des choix de caractère scientifique et technologique afin d’éclairer ses décisions. Pour ce faire, l’office recueille des informations, produit des rapports, met en oeuvre des programmes d’études et procède à des évaluations. Avec Cédric Villani, mathématicien émérite et député LREM de la 5e circonscription de l’Essonne (Saclay-Orsay), nous avons décidé d’élargir la production de huit à dix rapports de fond par an de l’office avec des notes synthétiques de quatre à cinq pages visant à alerter les parlementaires sur des points précis. Parmi les sujets traités, nous pouvons citer par exemple les blockchains, le captage du CO2 par les sols en fonction des différents types de production. Ce sont des alertes sur des thèmes d’actualité, parfois brûlants, dont il est urgent de s’emparer. Ils fournissent aux parlementaires les éléments clés et les enjeux à prendre en compte lors des travaux législatifs.

Nous travaillons notamment beaucoup à l’heure actuelle sur une mission d’évaluation portant sur la mise en oeuvre de la loi bioéthique couvrant un large panel de thématiques allant notamment de la PMA à la GPA en passant par les questions liées à la fin de vie. Nous dressons un état des lieux des innovations, des avancées scientifiques et de leurs conséquences pour chacun de ces thèmes.

Lire aussi : Transition énergétique, la vision du Président de l’OPECST Gérard Longuet

Dans le nom de l’OPECST, il y a la notion « d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ». Ceci le place au coeur des choix à venir en matière de transition énergétique et de réduction des émissions de CO2. Quel bilan dressez-vous, quelques années après la promulgation de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) ? On fait la part belle aux énergies renouvelables mais pensez-vous que l’accent soit assez mis sur la réduction des émissions de CO2 ?

G. L. : Nous travaillons activement sur la question de la transition énergétique. Le stockage de l’énergie électrique, du gaz, le passage à l’hydrogène, l’avenir du nucléaire, en cycle fermé ou non, constituent des sujets prioritaires. Nous souhaitons contribuer à l’élaboration de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) avec des préoccupations plus scientifiques qu’économiques. Nous nous préoccupons globalement et principalement des effets environnementaux de nos choix énergétiques sur notre territoire et au-delà de nos frontières. Un État-nation a l’obligation de réfléchir et d’agir sur ce sujet d’autant que notre empreinte carbone s’avère moins bonne qu’auparavant.

Dix ans après le Grenelle de l’environnement, le bilan est mitigé et les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes. La transition énergétique et la production d’électricité et d’énergies issues d’énergies renouvelables coûtent très cher. L’éolien et le photovoltaïque sont bel et bien en marche mais le bilan énergétique continue à faire appel à des sources d’énergies carbonées et émettrices de CO2 comme le gaz. L’importation des panneaux photovoltaïques et l’acier contenu dans l’éolien ne sont pas neutres non plus. Le mix énergétique est une de nos priorités en plaçant au coeur de notre réflexion la réduction des émissions de CO2. Les constats cités précédemment ne vont pas suffisamment dans ce sens. De plus, la décarbonation de l’économie industrielle n’est pas satisfaisante avec, par exemple, l’achat à l’étranger de matériaux tels que le béton, l’acier, l’aluminium ou le silicium.

En tant que président de l’OPECST, vous dirigez un office commun aux deux assemblées qui compte des parlementaires venant de l’ensemble de l’échiquier politique. Comment arrivez-vous à faire travailler ensemble cette grande diversité de profils et d’opinions politiques ?

G. L. : La République en marche (LREM) a la majorité absolue et a donné lieu à l’arrivée massive de nouveaux parlementaires. Beaucoup d’entre eux se passionnent pour certains sujets. La limite de la passion réside dans le fait qu’elle n’est pas toujours source d’objectivité. C’est pourquoi nous démultiplions avec Cédric Villani les auditions afin de leur donner une vision globale des grands sujets du moment. Nous veillons également à ce que nos notes et nos rapports soient le plus précis possible afin de ne pas nous égarer dans des inexactitudes ou des solutions irréalistes.

Avec l’augmentation des émissions de CO2 et les présentations du projet de loi ELAN et du Plan rénovation énergétique des bâtiments, le bâtiment est actuellement au coeur de l’actualité. Quelques semaines avant votre prise de fonction, l’OPECST organisait une audition sur le thème « Le bâtiment face aux enjeux de la recherche et de l’innovation », quelle est votre position sur ce sujet ?

G. L. : Le statut de l’OPECST nous confère une grande liberté. Le bâtiment bas carbone est davantage du ressort de la commission économique. Nous sommes surtout là pour alerter sur les atouts ou les limites des solutions existantes et des innovations qui émergent. Le bâtiment doit approfondir sa réflexion sur l’énergie et se libérer de certaines positions ou visions erronées.

L’électricité peine à trouver sa place dans le logement en raison du mode de calcul de performance énergétique en énergie primaire édicté par le diagnostic de performance énergétique (DPE). Le gaz en bénéficie, l’offensive du secteur gazier est de ce fait très forte. Pourtant, le gaz émet du CO2 et la faiblesse du réseau gazier ne permettrait pas à tout le monde d’y avoir accès à cause de la densité de la population. Certains arguments de communication, comme le fait que le gaz générerait une chaleur plus douce, ont la dent dure. Il est urgent d’outrepasser ces considérations partisanes. Aucune énergie ne pourra en balayer une autre. Une approche globale et pragmatique est indispensable. Nous nous y attachons fortement au sein de l’OPECST.

Lire aussi : La contribution d’EdEn au Plan rénovation énergétique des bâtiments

Toujours concernant le bâtiment, des travaux ont été récemment menés sous votre égide au sein de l’OPECST sur les enjeux des compteurs communicants Linky et Gazpar. Huit millions de familles sont déjà équipées en France. Selon vous, pourquoi ces compteurs entraînent-ils une certaine réticence des utilisateurs ? Y-a-t-il des impacts avérés de ces dispositifs sur la santé des usagers ? Que faire pour rassurer les consommateurs notamment concernant la confidentialité et l’usage qui pourrait être fait des informations collectées ?

G. L. : Il y a une véritable inquiétude dans l’opinion sur les compteurs Linky et Gazpar. Pourtant, ces compteurs constituent un réel progrès en faveur d’une consommation raisonnée. D’un point de vue médical, certains pensent que les ondes seraient néfastes. D’autres ont peur que leur vie privée soit bafouée par le partage des données et un éventuel commerce de ces mêmes données. Il s’agit de réfléchir et de répondre à ces craintes car nous assistons parfois chez certains à une certaine phobie à l’égard de la modernité. Cela passe par de l’explication et de la pédagogie, il y a beaucoup d’incompréhension et de méconnaissance à l’origine de ces peurs. Il faut contrecarrer le discours parfois simpliste des « antis » qui, comme dans tous les domaines, sont toujours très actifs.

Au-delà de ces croyances, je suis favorable aux compteurs Linky et Gazpar car ils assurent un gain de transparence dans les coûts de production et de consommation. C’est une protection pour les consommateurs, qu’ils soient particuliers ou professionnels, notamment sur le plan financier. Cependant, le coût du déploiement de ces compteurs n’est pas si évident que cela à amortir. Le suréquipement et le surinvestissement dans les zones rurales sont parfois déraisonnables.

Le développement de l’intelligence artificielle suppose le libre accès aux données. N’est-ce pas en contradiction avec la nouvelle réglementation européenne sur la protection des données personnelles ? Où sont les points de friction entre innovation et protection ? Quel est le point d’équilibre selon vous ?

G. L. : Cédric Villani a présenté au Premier ministre son rapport intitulé « Donner un sens à l’intelligence artificielle, pour une stratégie nationale et européenne », élaboré dans le cadre de l’OPECST. Ce rapport met en avant quatre priorités sur lesquelles les investissements en matière d’intelligence artificielle doivent se porter : l’environnement, le transport, la santé et la défense. L’intégration de l’intelligence artificielle dans ces domaines crée une rupture et nécessite une réflexion et la mise en place de limites dans l’exploitation des données.

Si l’utilisation des données personnelles va dans le sens de l’intérêt général et individuel et qu’elle permet de mieux comprendre les modes de consommation et les besoins afin d’améliorer les équipements et les infrastructures, j’y suis totalement favorable. La limite à l’utilisation des données, c’est le fichage de la personne mais ce n’est pas l’objectif. Je suis ouvert à l’utilisation des données si elle permet d’améliorer la vie collective et si elle a uniquement cette vocation-là.

Vous avez pris position en faveur du gaz de schiste, qu’en est-il aujourd’hui ? Pour vous, quelles sont les alternatives pour lier indépendance énergétique et énergie bon marché pour les particuliers et les entreprises ?

G. L. : J’ai en effet été favorable à des travaux de R&D sur le gaz de schiste. Je ne peux me prononcer sur son exploitation car aucune expérimentation n’a jamais été menée. La connaissance permet de prendre des positions et des décisions argumentées et fiables. Je pense que ne pas répertorier le patrimoine français en ressources non conventionnelles est une erreur majeure.

Vous avez défendu le centre de stockage de déchets nucléaires de Bure dans la Meuse. Pouvez-vous expliquer cet engagement ? Quelle est votre position sur l’énergie nucléaire ? Comment voyez-vous son avenir ?

G. L. : Très implanté localement, j’ai défendu l’existence et l’installation du centre de stockage de déchets nucléaires à Bure. Ambitieux et utile économiquement, il présente un intérêt matériel et industriel. Le nucléaire doit être une chance pour la France, notre pays a un savoir-faire reconnu dans le monde en la matière. Le nucléaire doit (re)trouver sa place. Plusieurs pistes me semblent à privilégier pour l’avenir du nucléaire : diminuer d’un facteur 10 les déchets, développer des modules de plus petite taille qu’auparavant et, à terme, opter pour la fusion.

En tant qu’ancien président de la région Lorraine, pensez-vous que les collectivités territoriales soient suffisamment impliquées sur le terrain de la transition énergétique ? Ont-elles les moyens d’agir ?

G. L. : Les régions, à l’instar de l’État, n’ont plus les moyens d’intervenir sur le terrain de la transition énergétique en participant au financement de travaux relatifs à de nouvelles solutions et innovations. Elles peuvent cependant accompagner l’émergence de filières ou de solutions et leur donner notamment plus de visibilité. La transition énergétique n’est pas portée par les régions mais davantage à l’échelon des agglomérations. Son ancrage est donc local et de proximité. Est-ce suffisant ? Comment élargir le financement de la transition énergétique ? Les émissions de CO2 constituent la source du réchauffement climatique. Pourquoi ne pas pénaliser et faire payer ces émissions de CO2 ? Cela permettrait de financer la transition énergétique. Cette pénalité pourrait concerner les industriels et les professionnels dans un premier temps. L’argent collecté pourrait profiter aux consommateurs les plus vertueux. Une sorte d’économie circulaire du CO2 verrait ainsi le jour.

* L’OPECST est composé de 18 députés et 18 sénateurs. Sa présidence tourne tous les trois ans entre un membre de l’une puis de l’autre assemblée.

 

Gérard Longuet

Gérard Longuet
Sénateur de la Meuse ;
Président de l’Office ;
Ancien Ministre.

Propos recueillis par Laurent Jacotey

PARTAGER CET ARTICLE