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L’OMI en route vers un accord sur le transport maritime zéro émission

Par le

Les pays membres de l’Organisation maritime internationale (OMI) sont parvenus à s’entendre sur un projet de cadre « Zéro émission nette » pour le transport maritime mondial à l’issue du 83e Comité de protection de l’environnement marin (MEPC 83).

Un projet d’accord a été trouvé sur des normes d’encadrement des émissions des navires jusqu’à l’horizon 2035 et sur un mécanisme de bonifications ou de pénalités applicables aux écarts constatés par rapport à ces normes. Cet accord devrait être formellement adopté en octobre 2025 lors d’une session extraordinaire du Comité de la protection de l’environnement marin et entrer en vigueur en 2027.

Un accord qualifié d’historique

Le vendredi 11 avril, le Comité de protection de l’environnement marin a approuvé un projet d’amendement à la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires (MARPOL) contenu dans un nouveau « Cadre Zéro émission nette » (1).
Ce cadre consiste en un ensemble de mesures juridiquement contraignantes visant à mettre en œuvre les ambitions de neutralité carbone à horizon 2050 de la stratégie de l’OMI en matière de réduction des émissions des navires. Il s’agit d’un système de conformité, applicable à chaque navire d’une jauge brute supérieure à 5 000, fondé sur le calcul de la « GFI annuelle obtenue » (GFI = GHG fuel intensity), c’est-à-dire sur la moyenne pondérée de l’intensité des émissions de GES de tous les combustibles utilisés à bord d’un navire au cours d’une année civile donnée, du puits au sillage.

Cette GFI annuelle obtenue est comparée à une GFI annuelle cible (GFIT) qui comporte deux niveaux :

  • la GFI annuelle de base, calculée à partir de la référence GFI2008 sur la base d’un abattement allant de 4 % en 2028 à 30 % en 2035. Il est prévu que cet abattement soit fixé à 65 % en 2040 ;
  • la GFI annuelle aux fins de la conformité directe, calculée sur la base d’un abattement allant quant à lui de 17 % en 2028 à 43 % en 2035.

Si la GFI annuelle obtenue est inférieure à la GFI annuelle de conformité directe, le navire bénéficie « d’unités excédentaires » exprimées en tonnes de CO2eq. Ces unités excédentaires sont reportables ou transférables.
Si le bilan de conformité par rapport à la GFI annuelle de conformité directe est négatif, un déficit de conformité de niveau 1 apparaît.
Si, de plus, le bilan de conformité est négatif par rapport à la GFI annuelle de base, un déficit de conformité de niveau 2 s’ajoute au déficit de niveau 1, calculé par référence à la GFI annuelle de base.
Le navire doit compenser le déficit de conformité de niveau 1 en achetant des « unités correctives » au- près du Fonds Zéro émission nette de l’OMI à un prix fixé à 100 $ par tonne de CO2eq jusqu’en 2030.
A contrario, et sur une proposition originale de la Chine, certains pays préféraient la mise en place d’un système d’échange, une proposition soutenue par plusieurs pays émergents, dont beaucoup sont exportateurs de combustibles fossiles comme le Brésil, l’Arabie saoudite ou encore l’Afrique du Sud.
C’est la proposition de compromis portée par Singapour, nommée le J9, qui a finalement servi de base aux négociations du comité, un système d’échange de crédits s’articulant comme expliqué ci-dessus autour de deux trajectoires, une cible de base, plus facile, et une autre, plus ambitieuse, dite de conformité directe.
Dans un contexte où les États-Unis étaient les grands absents de la réunion du comité et tentaient de faire échouer les négociations à coups de menaces de rétorsion, l’accord constitue une belle victoire.

Le déficit de niveau 2 peut quant à lui être compensé de trois façons :

  • l’utilisation d’unités excédentaires mises en réserve lors des précédentes périodes ;
  • le transfert d’unités excédentaires à partir d’autres navires ;
  • l’achat d’unités excédentaires de niveau 2 auprès du Fonds Zéro émission nette, mais à un prix fixé à 380 $ par tonne de CO2eq jusqu’en 2030.

Les revenus alimentant le Fonds Zéro émission nette pourront venir soutenir le déploiement de technologies à émissions de gaz à effet de serre nulles ou quasi nulles, et notamment les carburants durables marins, ou des projets nationaux de transition énergétique dans les pays en voie de développement. La Commission européenne estime que ce système générera entre 11 et 13 milliards de dollars de recettes par an.

(1) Ce cadre fait l’objet d’un nouveau chapitre 5 de l’Annexe VI de la convention MARPOL.

Un pari qui n’était pas gagné d’avance

L’accord a été approuvé lors d’un vote du comité MEPC par 63 pays, dont l’Union européenne, la Chine, l’Inde, le Brésil, le Canada et le Japon, malgré une opposition de 16 pays et l’abstention de 25 autres. Si le texte n’a pas réussi à réunir un consensus comme il est généralement le cas des textes onusiens, il marque tout de même l’aboutissement de longues négociations et un effort de compromis entre des points de vue divergents.
C’est l’élément économique qui posait particulièrement débat. Les pays plus ambitieux, dont l’Union européenne et les États insulaires du Pacifique, s’étaient largement exprimés en faveur d’une taxe carbone appliquée à toutes les émissions du transport maritime dès 2028, et pas seulement à celles excédant la trajectoire fixée.

EdEn analyse très positivement cet accord qui va donner naissance au premier cadre mondial juridiquement contraignant de réduction des émissions de gaz à effet de serre du transport maritime.
Il constitue une base solide et ambitieuse vers un transport maritime plus durable.
EdEn salue la mise en place d’un mécanisme mondial de tarification des émissions des navires, dont une partie des revenus sera recyclée vers le soutien à l’utilisation de carburants durables. Le déploiement de ces solutions sera clé pour la décarbonation de la propulsion marine à long terme.
L’Union européenne, avec l’adoption du règlement européen FuelEU Maritime, a ouvert la voie à l’accélération du déploiement de combustibles à usage maritime renouvelables et bas carbone en instaurant des paliers d’intensité carbone de l’énergie utilisée à bord des navires. Toutefois, l’absence de soutien financier vers cette filière coûteuse constitue une réelle barrière à son déploiement. Le fléchage des recettes de l’ETS maritime vers la décarbonation de la filière reste un sujet en suspens, qu’EdEn continue à soutenir.
Il reste en outre à assurer la cohérence entre les dispositions de ce nouvel accord et le cadre réglementaire européen. L’Union européenne devra évaluer l’interaction de ce nouveau cadre international avec la réglementation maritime actuelle de l’UE afin d’éviter une double charge pour les compagnies maritimes. Il sera clé d’éviter toute incohérence et contradiction entre ces deux systèmes afin d’assurer une concurrence équitable entre les acteurs internationaux.
EdEn rappelle par ailleurs l’enjeu qui s’attache à l’électrification des infrastructures portuaires et à la décarbonation des petits navires.

© Adobestock
Anna Mensch
Anna Mensch
consultante en affaires européennes, Équilibre des Énergies
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