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La décarbonation du transport de marchandises et son indispensable électrification

© Sébastien Le Couster
Par le

A l’heure où le transport de marchandises fait face aux défis majeurs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de réduction des polluants atmosphériques, le choix de l’électrification des fiottes s’impose. Ce n’est pas le seul levier de décarbonation, mais il sera indispensable pour répondre aux enjeux climatiques.
La Poste, pionnière en la matière, grande praticienne, partage son expérience.

Le transport de marchandises encore très carboné

L’un des défis majeurs de ce XXIe siècle est de lutter contre le réchauffement climatique en atteignant le zéro émission net. La France, qui se réchauffe plus vite que le reste du monde, se prépare à une hausse du thermomètre de 2 °C en 2030, 2,7 °C en 2050 et 4 °C en 2100, par rapport à l’ère préindustrielle, en cas de poursuite des politiques climatiques actuelles des pays du monde. Dix fois plus de jours de vagues de chaleur et de nuits tropicales, des risques accrus de feux de forêts sur tout le territoire, jusqu’à deux mois supplémentaires de sols secs, davantage de pluies intenses et moins de neige en montagne, c’est la photographie de la France si l’Accord de Paris n’est pas respecté.
En France, le secteur des transports est la première source émettrice de gaz à effet de serre, avec un transport de marchandises qui a décuplé pendant les Trente Glorieuses pour répondre à une demande croissante en biens de consommation (multiplication par 3,4 tonnes.km entre 1960 et 1990). C’est le transport routier responsable de 94 % des émissions du secteur des transports qui en est la principale origine du fait de l’utilisation des énergies fossiles.

Les émissions dépendantes de cinq facteurs

L’équation de Kaya qui relie les émissions anthropiques de dioxyde de carbone à des paramètres du transport de marchandises a été reprise par Aurélien Bigo en 2020 dans sa thèse « Les transports face au défi de la transition énergétique ». Elle retient cinq types de leviers de décarbonation avec pour chacun plusieurs solutions activables (figure 1) :

  • la demande de transport (optimisation des tournées, circuits courts, mixité fonctionnelle) ;
  • le report modal vers des modes décarbonés (mobilités actives, fret ferroviaire, fret fluvial, tram-fret) ;
  • le taux de remplissage (augmenter la compacité, vrac rangé) ;
  • l’efficacité énergétique des véhicules ;
  • l’intensité carbone (électrique, B100, HVO, bioGNC, hydrogène).
Figure 1

Étudions la faisabilité de chaque paramètre.

Taux de remplissage

Augmenter la quantité de marchandises transportées par engin conduit bien évidemment à une économie d’émissions carbone. Dans le monde du transport de personnes, cela s’illustre par des politiques d’incitation au covoiturage. Dans le monde du transport de marchandises, c’est par un chargement des véhicules avec des bacs ou caisses mobiles permettant un rangement optimisé que l’on peut arriver à augmenter de 10 à 30 % le taux de remplissage.

Demande de transport

Le transport routier de marchandises, tout comme le transport de voyageurs, est un système sobre à partir du mo- ment où il est mutualisé pour limiter le nombre de kilomètres parcourus.
Grâce à un schéma industriel qui réalise la collecte, la concentration, le tri, la dispersion et la distribution, il est dès lors possible de diminuer les kilomètres parcourus moyens par marchandise et d’avoir un système de transport des marchandises optimisé avec un taux de remplissage maximal.

Report modal

Les modes de transport longue distance, du moins intensif en carbone au plus intensif, se classent selon l’ordre suivant : ferroviaire, fluvial/maritime, routier, aérien. Dès lors, il est assez évident que le report modal de l’aérien et du routier vers le ferroviaire est à privilégier. Toutefois, rappelons la réalité des infrastructures en France. Alors que le réseau routier (1) a augmenté de 11 %, ce qui a permis un niveau de flux capacitaire plus important, le réseau ferroviaire et le réseau fluvial se sont contractés de 12 % en l’espace de 15 ans entre 2005 et 2020 avec comme bénéficiaires premiers les voyageurs pour le ferroviaire.
Pour la livraison du premier et du dernier kilomètre, plusieurs expérimentations de tram-fret ont été testées, avec comme limite principale à ce jour les ruptures de charge, c’est-à-dire les temps et moyens de chargement et de déchargement pour permettre l’intermodalité. D’autres modes de transport sont aussi possibles sur les petites distances, notamment la cyclo-logistique, qui par des politiques volontaristes de développement de nouvelles infrastructures cyclables s’est rapidement développée dans les centres urbains. Environ 200 entreprises de cyclo-logistique sont aujourd’hui référencées en France métropolitaine dans 74 villes.

(1) Infrastructures de transport – Chiflres clés transports 2022 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiflres-cles-transports/fr/

L’efficacité énergétique

Ce dernier type de levier de décarbonation est entre les mains des motoristes et dans la recherche et le développement technologique de moteurs à meilleure performance énergétique. Le moteur thermique, limité par le principe de Carnot, mais avec des chambres de combustion améliorées, des systèmes de récupération et post-injection permettant une combustion totale des carburants est en soi un bijou technologique, fruit de 40 ans d’amélioration de l’industrie automobile, à la suite notamment du choc pétrolier des années 1973-1974. Les dernières générations de moteur thermique permettent d’atteindre des rendements allant jusqu’à 50 %. Le moteur électrique, du fait d’un système énergétique de conduction, n’a pas de perte par dissipation de chaleur, ce qui lui permet d’atteindre des rendements bien supérieurs, autour de 80-90 %.
Les motorisations électriques sont ainsi, d’un point de vue efficacité énergétique et intensité carbone, une solution incontournable pour limiter le réchauffement climatique.

L’intensité carbone

Le pétrole est devenu, à partir des années 1950, la première source d’énergie dans le monde. Il satisfait plus de 30 % des besoins énergétiques. C’est la principale matière première des carburants qui alimentent les transports (voitures, camions, avions). En 2009, 98 % des énergies de transport sont issues du pétrole avec une intensité carbone au km très élevée, sans compter la pollution locale atmosphérique générée liée à la combustion des moteurs.
Les motorisations électriques sont, d’un point de vue intensité carbone, une solution imbattable pour la décarbonation des transports légers de marchandises. Par un effort de recherche et développement accru, notamment sur les technologies de batterie, les motorisations électriques sont devenues très performantes pour les véhicules légers au cours de la dernière décennie.
Pour les véhicules lourds, comme l’intensité carbone des moteurs thermiques est quasiment trois fois supérieure à celles des véhicules légers, d’autres énergies deviennent intéressantes, comme les huiles végétales hydrotraitées (HVO = hydrotreated vegetable oil) produites à partir de déchets, d’huiles résiduelles et de graisses, ou encore les bio-GNC (gaz naturel comprimé)/ bio- méthane issu de la méthanisation de déchets organiques comme les boues de stations d’épuration ou des déchets de marc de raisin à titre d’illustration. En France, on compte dorénavant plus de 1 900 unités de méthanisation fournissant 12 TWh de gaz et d’électricité alors qu’en 2010 il y en avait moins d’une centaine.
Pour passer le cap des engagements 2030 pris par de nombreuses entreprises, la diversification des carburants dans le transport routier est nécessaire et permettra de lutter efficacement contre les émissions de CO2. Pour les engagements de net zero en 2050, les motorisations électriques devraient prendre le pas, avec des technologies de batteries permettant de réaliser de longues distances supérieures à 400 km d’autonomie.
Il reste toutefois de nombreux défis à relever. Le principal point limitant au développement des poids lourds électriques est le coût et notamment le prix des batteries. Actuellement, le TCO d’un poids lourd électrique reste deux à trois fois plus élevé que celui d’un poids lourd thermique (source : Global decar- bonization summit). Il est aussi nécessaire de déployer des infrastructures de recharge qui sont différentes de celles pour les véhicules légers. Enfin, une dernière limite au modèle du tout électrique pour le routier est la puissance électrique nécessaire : il faudrait l’équivalent d’un poste de puissance équivalent à 50-60 MW sur chaque aire d’autoroute et au global de l’ordre de 5 GW, soit l’équivalent de quatre centrales nucléaires.

Application postale

La Poste a toujours été un transporteur de marchandises. Son histoire est très liée à celle des modes de transport – d’abord à cheval avec La Poste aux chevaux, puis par le chemin de fer au milieu du XIXe siècle, suivi des modes automobiles et aériens (l’aéropostale) au XXe siècle.
En 2024, le groupe La Poste transporte près de 6 milliards de courriers et 2,5 milliards de colis, c’est le premier réseau de livraison de colis de moins de 30 kg en Europe notamment grâce à sa filiale Geopost (marque DPD) et sa marque Colissimo en France.
Le groupe La Poste réalise 2,3 milliards de kilomètres sur les premiers et derniers kilomètres et 1,4 milliard de kilomètres pour du linehaul, soit l’équivalent de 10 000 fois le tour de la Terre… par heure !

© Ephoto Dam – Einden @Eric Huynh

L’histoire de l’électrification postale

Quand on est une entreprise qui collecte le diffus et redistribue au diffus, dans des délais imposés par les e-commerçants, cela nécessite une organisation cadencée comme du papier à musique, sans risques de retard. Dès lors, le mode routier est le seul majoritairement acceptable au vu des contraintes précitées et de la disponibilité des infrastructures.
Les archives que notre historien Sébastien Richez a pu consulter relatent l’investissement de La Poste dans le pro- gramme véhicules électriques de 2008 issu du Grenelle de l’environnement. Lors des État généraux de l’automobile en 2009, le porte-parole du gouvernement, Luc Chatel, révèle la mission confiée à La Poste de passer des commandes de véhicules électriques afin d’arriver à une masse critique permettant de faire naître une filière.
Ainsi, après 15 ans d’effort et de travail avec les constructeurs automobile, plusieurs générations de véhicules électriques, notamment véhicules utilitaires légers, ont vu le jour. C’est fort d’une flotte de près de 25 000 véhicules électriques légers en 2025 que les facteurs sillonnent les villes et les campagnes pour la livraison des courriers et des colis. Le TCO est dorénavant très intéressant en comparaison de celui du véhicule thermique, et le groupe poursuit l’électrification de sa flotte Vehipostes pour atteindre plus de 80 % du parc électrifié en 2030. Sur le champ des véhicules lourds électriques, l’histoire commence à peine : les deux premiers camions Volvo électriques circulent en Auvergne depuis octobre dernier et quelques poids lourds électriques sont testés par notre filiale DPD Swizerland. Il reste toutefois de nombreuses questions en suspens, dont le modèle de performance économique. Dans cet univers, les motorisations biogaz, biocarburants et hydrogène auront peut-être une place. D’après le Global decarbonization summit qui s’est tenu au siège de La Poste les 18 et 19 mars, avec les principaux constructeurs de poids lourds électriques et de batteries, il semble que tout se jouera dans les 10 prochaines années.

© Ephoto Dam – Einden @Eric Huynh

Les mobilités douces

La logistique urbaine responsable de La Poste se pense aussi avec des modes doux. Vélos-cargos et vélos à assistance électrique constituent une flotte de 15 000 engins. Ces véhicules sont le fruit d’un co-développement de moteurs Valeo avec boîte automatique, marche arrière, traction pour des pentes de 30 °. De plus, la Poste est un bêta-testeur de premier plan pour les collectivités en tant qu’usager intensif des pistes cyclables. Ainsi, l’entreprise est souvent consultée lors de la définition des schémas directeurs des pistes cyclables.

Les hubs logistiques multimodaux

La Poste, c’est 3 100 plates-formes logistiques, dont les plus importantes peuvent traiter 1 million de colis par jour. Afin d’intégrer les nouveaux modes de mobilité, les schémas industriels logistiques ont dû s’adapter ainsi que la configuration de hubs logistiques devenus multi-modaux.
Par exemple, l’ouverture de la plateforme multi-flux de 5 000 m2 en août 2024 à Saint-Pierre-lès-Nemours, labellisé Haute Qualité Environnementale, intègre Kangoo électriques, vélos cargos et vélos à assistance électrique.

© Ephoto Dam – Einden @Eric Huynh

Conclusion

Il est temps d’agir. La lutte contre le dérèglement climatique est le principal défi pour l’humanité au XXIe siècle, et chaque fraction de degré d’élévation de la température mondiale évitée est précieuse. La décarbonation des transports de marchandises est une partie de la solution (car une partie du problème). C’est par la connaissance fine du système de transport, y compris du système d’offre et de demande, et par l’investissement dans la recherche et l’innovation que nous ferons du zéro émission net une réalité.

Claire Baritaud
Claire Baritaud
directrice du Pôle Politiques, Expertise et Programmation, groupe La Poste
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