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L’avènement de l’hydrogène électrique

Pompe à hydrogène
Par le |

« Incroyablement stupide », « du grand n’importe quoi »… C’est, avec sa modération habituelle, les termes qu’employait Elon Musk, le patron de Tesla, à propos de l’hydrogène et de la pile à combustible, lors d’un discours à ses actionnaires en 2018. Et pourtant…

Il semble qu’on n’ait jamais autant parlé d’hydrogène qu’aujourd’hui. C’est l’Agence internationale de l’énergie qui a donné le LA en juin dernier dans un rapport remis en grande pompe aux pays du G20 au Japon, bientôt suivie par le cabinet d’analyse Bloomberg NEF qui annonce une parité de l’hydrogène avec les combustibles fossiles avant 2050. Elon Musk se tromperait-il ?

Un hydrogène peut en cacher un autre

Celui dont se moque Elon Musk n’est pas nouveau : il était déjà connu à la fin des années 1990 sous le vocable « d’économie de l’hydrogène ». De quoi parle-t-on ? De l’hydrogène dit « gris », produit à partir de combustibles fossiles, principalement par vapo-réformage du méthane, éventuellement combiné à de la capture du carbone (on parle alors d’hydrogène « bleu »), pour des usages énergétiques, au-delà des usages courants de l’hydrogène dans l’industrie, chimie et engrais. Les utilisations nouvelles d’un tel hydrogène les plus souvent évoquées sont les véhicules et les générateurs à pile à combustible, par laquelle l’hydrogène est converti en électricité et en chaleur.

Elon Musk n’a pas vraiment tort : la montagne de subventions à la recherche, aux projets pilotes et aux immatriculations (plus de 20 milliards de dollars en deux décennies) a accouché d’une souris : seulement 11 200 véhicules immatriculés dans le monde en 2018, soit près de 200 moins que de véhicules électriques à batteries ! Et les perspectives ne sont pas encourageantes : l’État de Californie, un des pionniers avec un cinquième du marché mondial, compte sur des immatriculations en progression modeste et un parc installé de 48 000 véhicules à horizon 2025, soit 0,3 % de son parc automobile total. Elon Musk peut dormir tranquille !

C’est que les limites de l’hydrogène fossile, comme il convient de l’appeler, sont patentes. Son équation en termes de coûts tout d’abord : un combustible fossile qu’on transforme avec deux opérations industrielles lourdes, vapo-réformage et séquestration du carbone, ne peut être que plus onéreux qu’un autre combustible fossile. Ajoutons que la technologie de transformation de l’hydrogène en énergie par la pile à combustible requiert des métaux précieux, multiplie le coût des moteurs par cinq par rapport au véhicule thermique et a une courbe de coûts relativement plate. Enfin, le poids des infrastructures reste prohibitif : une station hydrogène coûte de un à cinq millions d’euros, dix fois plus cher qu’une station de charge rapide de véhicules électriques. Terminons par le fait que la séquestration du CO2 étant une technologie sujette à caution, la neutralité carbone du processus reste éminemment discutable.

Derrière le rideau de fumée de l’hydrogène fossile, se profile une autre vague d’hydrogène, infiniment plus puissante : l’hydrogène électrique. C’est celui-là dont parle Jules Verne de manière prémonitoire en 1874 dans L’Île mystérieuse : « Je crois que lorsque les gisements de houille seront épuisés, on chauffera et on se chauffera avec de l’eau… l’eau décomposée en ses éléments constitutifs… l’hydrogène et l’oxygène… sans doute, par l’électricité, qui sera devenue alors une force puissante et maniable. »

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L’heure de l’hydrogène électrique est arrivée

L’hydrogène électrique est issu d’une technologie déjà connue à l’époque de Jules Verne et que nous avons tous expérimentée au lycée : l’électrolyse. La ressource est quasi-infinie : l’hydrogène contenu dans un litre d’eau a la valeur énergétique de 0,4 litre de pétrole. Pourquoi son heure est-elle enfin venue, près de deux siècles après son invention ?

La première raison tient à la source d’électricité : à moins de 20 dollars du mégawattheure dans des pays comme les États-Unis, le Mexique, le Chili, les Émirats arabes unis et le Portugal, l’électricité solaire ou éolienne s’impose comme une ressource immense et très bon marché, avec néanmoins un inconvénient majeur : sa variabilité. Cela ne décourage pas les développeurs de projets : une véritable ruée vers l’or est en cours, par exemple en Espagne où la capacité des parcs solaires en attente de raccordement au réseau électrique atteint aujourd’hui 200 gigawatts.

L’électrolyse par ailleurs, dans sa version la plus classique (alcaline, de préférence aux technologies PEM et SOFC, plus chères et moins mûres), présente plusieurs avantages clés : plusieurs décennies de fonctionnement fiable et éprouvé dans la chimie (chloralacaline), un rendement énergétique satisfaisant (70 %), des besoins matières simples (acier et nickel principalement), une modularité qui permet une forte réduction des coûts dans une logique d’intégration industrielle verticale, dès lors que les volumes atteignent des gigawatts.

On peut ainsi envisager de produire dans les prochaines années en Europe de l’hydrogène électrique à un niveau proche de 1 $/kg (ou 25 $/mégawattheure), soit un niveau comparable au prix de revient à long terme du GNL (gaz naturel liquéfié) importé des États-Unis.

Cet hydrogène électrique doit être utilisé là où sa valeur d’usage est la plus élevée

« Extrait » à partir de solaire de manière compétitive en Europe du Sud et en Afrique du Nord ou encore à partir d’éolien dans les pays nordiques, l’hydrogène électrique peut être transporté dans de très gros volumes (millions de tonnes) et à bas coût vers les lieux de consommation via les infrastructures de transport de gaz naturel. L’injection dans les réseaux existants, ou la conversion de sections entières à 100 % hydrogène, s’avère sensiblement plus simple qu’anticipée, avec des investissements limités sur les équipements de réseau. Les stockages souterrains, dont les capacités sont massives (plusieurs mois de consommation) et les coûts très faibles, peuvent eux aussi être réutilisés.

En aval, l’hydrogène électrique se présente comme l’alternative décarbonée évidente de l’hydrogène fossile dans l’industrie (chimie notamment), voire comme substitut du charbon à coke dans la sidérurgie (oxydoréduction du minerai de fer). Il peut également être utilisé (sous forme d’ammoniac) dans le transport maritime en lieu et place du fioul lourd. Il peut aussi se substituer aux combustibles fossiles dans la production d’électricité et de chaleur : la transformation des turbines à gaz ou à charbon en turbines à hydrogène est un processus maîtrisé par les grands turbiniers mondiaux. L’hydrogène trouve également déjà sa place dans les transports lourds ou professionnels où la capacité des batteries est insuffisante pour assurer l’autonomie requise.

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Enfin, l’hydrogène électrique peut contribuer à la stabilité et à la robustesse du système électrique, en « absorbant » de la production électrique renouvelable variable et en restituant une électricité pilotable à tout instant. Il conforte ainsi le développement des usages de l’électricité dans la mobilité et dans le bâtiment en concourant à l’objectif de neutralité carbone.

Thierry Lepercq

Thierry Lepercq
entrepreneur du monde de l’énergie, auteur de Hydrogène, le nouveau pétrole

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