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Comment tirer parti du potentiel de flexibilité des véhicules électriques

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Les prochaines années vont voir arriver sur nos routes plusieurs millions de véhicules électriques. Leur flexibilité pourrait être un atout important pour le système électrique dans le contexte du développement des énergies renouvelables. C’est pourquoi EDF a créé, avec la start-up californienne Nuvve, la co-entreprise DREEV, spécialisée dans l’exploitation des flexibilités associées aux véhicules électriques. Des barrières restent cependant à lever pour libérer la valeur liée à ces services…

L’arrivée du véhicule électrique

La chute du coût des batteries lithium-ion et l’augmentation de leurs performances sont à l’origine du regain d’intérêt pour le véhicule électrique. En Europe, le mouvement s’est accéléré du fait de la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy) qui impose aux constructeurs automobiles des plafonds d’émissions de CO2 dans leurs ventes de véhicules légers (cibles autour de 95 g de CO2/km en 2020 et baissant de 15 % en 2025). L’atteinte de ces objectifs étant impossible sans vendre des véhicules électriques, les constructeurs ont électrifié nombre de leurs modèles et poussent fortement leurs ventes auprès des clients. Ces objectifs se renforçant chaque année, la part des véhicules électriques dans les ventes devrait augmenter en conséquence. En France, la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit ainsi 1,2 million de véhicules électriques en circulation en 2023 et 4,8 millions en 2028.

Lire aussi : 21 mesures pour atteindre 5,2 millions de véhicules électriques en 2030

Les études de RTE et ENEDIS s’accordent sur le fait que le système électrique est en capacité d’accompagner ces développements. Les consommations additionnelles d’électricité liées au véhicule électrique n’excèdent pas 2 à 3 TWh par million de véhicules et il faut tenir compte des économies faites sur les autres usages et de l’apport croissant des énergies renouvelables.

Une grande majorité de cette énergie pourra être consommée en périodes creuses lorsque que les marges disponibles sont les plus importantes. Le véhicule électrique se chargera la plupart du temps en charge lente (3 ou 7 kW), au domicile ou en entreprise. Sans pilotage de la charge, on estime qu’un million de véhicules entraînerait un accroissement de la pointe de consommation hivernale d’environ 1 GW. Mais il suffit que, d’ici à 2035, la moitié des véhicules (soit 7 à 8 millions de véhicules), à l’instar de 80 % des quelque 10 millions de ballons d’eau chaude aujourd’hui, décalent leur recharge pour ne pas générer de besoin d’investissements supplémentaires pour passer des pointes.

Une utilisation plus avancée de la flexibilité du véhicule électrique offre des bénéfices économiques et environnementaux potentiels plus importants liés notamment à une meilleure intégration des énergies renouvelables. Avec une batterie de quelques dizaines de kWh, le véhicule électrique peut optimiser sa charge sur une semaine, profiter de tarifs avantageux le week-end, auto-consommer des excédents de production photovoltaïque au milieu de la journée ou bien attendre le milieu de la nuit quand il y ait une production éolienne abondante. Le pilotage de la charge des véhicules est en général appelé smart charging ou V1G alors que le terme V2G désigne l’interaction bidirectionnelle avec le réseau.

Vu d’un énergéticien, un véhicule électrique est une batterie de plusieurs dizaines de kWh stationnée environ 95 % de son temps. En agrégeant toutes ces batteries, on obtiendrait, avec 16 millions de VE en 2035 (scénario haut considéré par RTE), une capacité virtuelle de stockage équivalente à plus de 10 fois celle des STEP actuelles. L’enjeu est donc important. Utiliser le véhicule en stockage pouvant réinjecter de l’énergie est désigné par le terme V2X qui se décline en V2H ou V2B quand la réinjection se fait en aval « compteur dans une maison ou un bâtiment », et en V2G dans le cas de services rendus au réseau.

À long terme, le choix des modes de pilotage des véhicules électriques aura un impact bénéfique sur le mix de production résumé par la figure 1. Cette figure montre que le pilotage de la charge permet d’éviter l’appel à des centrales fossiles en France et en Europe et donc de diminuer les émissions de CO2 et la production électrique à coût variable élevé. Il permet également de valoriser les excédents d’énergie à faible contenu en carbone lors des périodes où la demande est faible.

Ces résultats sont fortement accentués dans le cas du V2X qui permet de déstocker de l’énergie pendant les moments de pointe pour stocker d’éventuels excédents durant les heures de faible consommation. Un scénario où le V2X serait poussé aboutirait même à un mix français supprimant quasiment tout besoin de centrales à gaz en 2035 pour assurer les pointes de consommation. Sur le plan économique, l’enjeu de ces modes de pilotage en 2035 est estimé pour le système électrique français à environ 1,5 milliard d’euros par an par RTE. Sur le plan environnemental, la gestion de la charge du VE est considérée comme le principal levier pour diminuer son empreinte carbone.

Figure 1 : Effets sur les bilans énergétiques français et européens du pilotage
de la recharge des véhicules électriques français à l’horizon 2035.
Source : Enjeux du développement de l’électromobilité pour le système électrique RTE 2019.

Des technologies qui devraient arriver dans les années à venir

Aujourd’hui, ces leviers sont encore loin d’être activés. Les enquêtes d’EDF et d’ENEDIS effectuées en 2019 montrent qu’un tiers des ménages diffèrent régulièrement leur charge. Le marché n’en est qu’à son démarrage, mais on sait que le coût d’un pilotage dynamique sera très limité pour deux raisons :

  • l’arrivée du véhicule électrique accompagne celle du véhicule connecté. Le coût marginal de communication pour remonter des données et piloter le véhicule sera donc limité. Les énergéticiens travaillent avec les constructeurs automobiles pour explorer ce mode de pilotage. La première offre de smart charging par cette voie vient de sortir en France en décembre 2019 avec les véhicules Tesla ;
  • une grande partie du parc de bornes de recharge en Europe est communicante et pourrait l’être aussi demain en France (via le Wi-Fi, le GPRS, etc.). Aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, cette connectivité résulte notamment des politiques publiques qui réservent les subventions à l’installation de bornes résidentielles pilotables et connectées. Les effets volume associés ont permis l’émergence sur ces marchés de bornes connectées moins chères (avant subventions) que les bornes non communicantes du marché français. Cette solution permet en outre d’accéder aux données locales du bâtiment. Cependant, la borne ne remonte pas encore les données du véhicule nécessaires à une optimisation de la charge (état de charge, taille de la batterie, etc.). Cette question devrait trouver sa solution d’ici quelques années.

Les ménages français s’équipent principalement de prises de 3,7 kW mais ce standard évolue vers des bornes 7 kW du fait de l’augmentation de l’autonomie des véhicules. Il conviendrait donc de s’assurer dès aujourd’hui que ces nouveaux équipements sont communicants et pilotables à distance.

Concernant le V2X, aujourd’hui, seuls les véhicules électriques dotés du standard de charge japonais ChaDeMo (Nissan, Mitsubishi, etc.) permettent de réinjecter sur le réseau tout en échangeant les données nécessaires à l’optimisation énergétique. Ces véhicules sont nativement compatibles en utilisant une borne de charge DC bidirectionnelle ( figure 2). L’inconvénient est qu’une borne DC est plus coûteuse que son équivalent AC sans même considérer la fonction bidirectionnelle. Les coûts pourraient néanmoins diminuer rapidement avec les volumes et les applications économiquement pertinentes qui commencent à apparaître. Aujourd’hui la technologie V2X se développe et fait ses preuves grâce à cette technologie qui perdurera encore plusieurs années.

Un autre schéma possible ( figure 3), en test chez Renault, consiste à assurer la bidirectionnalité directement dans le chargeur embarqué du véhicule. Le surcoût matériel pour rendre une borne AC/DC et un véhicule électrique bidirectionnels est alors bien moindre que celui d’une borne DC. Cette technologie industrialisée permettrait ainsi d’accéder avec une borne quasiment standard à du stockage à un coût très compétitif mais un constructeur automobile ne prendra pas la décision d’ajout de ces composants sans une vision claire sur le marché et sur la réglementation
associée.

La question de la dégradation de la batterie est également souvent posée : les constructeurs sont en train d’y répondre en définissant des plages de fonctionnement (limitation des états de charge, températures, etc.) qui permettront à des opérateurs de piloter un service V2X sans mettre en cause la garantie de la batterie.

Figure 2 : V2X DC avec conversion AC/DC bidirectionnelle dans la borne
(schéma Nissan, commercial).
Figure 3 : Conversion AC/DC dans le véhicule en V2X AC (schéma Renault, prototype).

DREEV, la filiale d’EDF spécialisée dans le Smart Charging

Pour exploiter les flexibilités des véhicules électriques, EDF a créé, avec la start-up californienne Nuvve, la co-entreprise DREEV en Europe. DREEV est un agrégateur technique doté d’une plate-forme capable de se connecter à des bornes, unidirectionnelles ou bidirectionnelles, ou à des véhicules connectés à distance afin de recevoir et transmettre les données nécessaires à une optimisation de la charge/décharge en tenant compte des opportunités et contraintes locales et des marchés de l’énergie ( figure 4).

DREEV travaille aujourd’hui à la fois avec les opérateurs de recharge (notamment IZIVIA, l’opérateur du groupe EDF) et avec les constructeurs automobiles français et européens pour le développement d’offres de pilotage intelligent. Sur le volet V2X, DREEV a inauguré en France en 2019 ses premières bornes V2G associées à des flottes de véhicules Nissan dans des entreprises. Quand ces véhicules sont stationnés la nuit et le week-end, les batteries sont utilisées pour assurer l’équilibrage du réseau électrique.

Figure 4 : Schéma de principe du fonctionnement de DREEV.

Un potentiel à activer avec les bons signaux

Il convient d’inciter les utilisateurs à adopter une gestion de la charge vertueuse pour le système électrique. Une telle incitation économique devrait être prise en compte dans les tarifs d’accès au réseau, notamment en accroissant la différenciation tarifaire entre les heures pleines et les heures creuses. Le principe de pointe mobile pour le réseau BT serait également pertinent dans le cadre du déploiement du véhicule électrique. En cas de réinjection d’électricité sur le réseau public, l’énergie réinjectée ne doit pas être assujettie à la fiscalité sur la consommation finale d’électricité.

Un aspect important est également la question de l’accès aux données des véhicules. Un protocole de communication (15-118) entre le véhicule et la borne doit être prochainement révisé mais la généralisation de ce futur standard prendra du temps. Un autre canal à étudier est le système d’information des constructeurs automobiles auxquels les véhicules sont connectés.

D’un point de vue matériel, pour le V1G, la borne de recharge 7 KW devrait devenir majoritaire en France mais le pilotage effectif et la connectivité de ces infrastructures ne sont pas assurés. Or ces fonctionnalités présentent un surcoût très faible, notamment s’il y a un déploiement à grande échelle, et permettent en outre l’accès par l’utilisateur à de nombreux services (split billing pour les frais professionnels, suivi de la consommation, airbnb de la recharge, etc.). Le potentiel pilotable se concentre dans les maisons individuelles. Inciter dès à présent au bon choix matériel est sur ce segment est essentiel. Un dispositif de soutien spécifique aux bornes en maisons individuelles pilotables et connectées via un protocole de communication standard et ouvert pourrait être envisagé, à l’instar de ce qui existe au Royaume-Uni (OLEV Grant).

Quant au V2X, la France pourrait, à l’instar d’une initiative mise en oeuvre en 2018 au Royaume-Uni, lancer un appel d’offres V2X à grande échelle. Cette démarche industrielle soutiendrait une action coordonnée des acteurs de l’écosystème et permettrait de préciser les modifications requises des règles techniques de participation de ces véhicules au fonctionnement des réseaux, d’éprouver la pertinence technico-économique du V2X et d’amorcer une baisse de coût des technologies. Le retour sur expérience de cet appel d’offres permettrait d’évaluer la pertinence de la technologie et sa contribution possible à l’atteinte de l’objectif de capacités d’effacement fixé par la PPE à 6,5 GW à horizon 2028.

De telles orientations prendraient totalement sens dans un plan de relance industrielle combinant sans contradiction une réponse efficace aux enjeux du climat, de santé et d’emploi. En permettant de libérer le potentiel de flexibilités de leur véhicule, elles favoriseront in fine l’ensemble des ménages et entreprises désireux de s’engager au service de leur pouvoir d’achat et d’une transition écologique, sociale et industrielle efficace.

Lire aussi : Plan de soutien à la filière automobile : Equilibre des Energies appelle à amplifier le soutien au véhicule électrique et à ses infrastructures de recharge

Quentin Maitre
Quentin Maitre
responsable smart charging et V2X (EDF Group Electric Mobility Division)
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