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Les conséquences du calcul de l’énergie primaire dans les bâtiments

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Le cabinet Samman analyse la fixation en énergie primaire d’objectifs chiffrés en matière d’efficacité énergétique dans le bâtiment. Exigée par la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010 relative à la performance énergétique des bâtiments, la fixation en énergie primaire[1] (« énergie provenant de sources renouvelables ou non renouvelables qui n’a subi aucun processus de conversion ou de transformation[2] ») de la consommation énergétique maximale autorisée d’un bâtiment est aujourd’hui un sujet sensible.

Pour rappel, cette méthode de calcul réintègre dans l’évaluation de la consommation énergétique d’un bâtiment, grâce à un coefficient de conversion en énergie primaire, la quantité d’énergie nécessaire à la production et à l’acheminement de l’énergie finalement utilisée par le consommateur.

Le coefficient de conversion en énergie primaire est attribué, au niveau national[3], à l’électricité au regard de la spécificité de son processus de production et de transport vers le client final[4]. Sa valeur va donc devenir un élément déterminant du choix de l’électricité dans la construction neuve, vitrine de la politique des Etats membres en matière d’efficacité énergétique.

La mise en œuvre en France d’un coefficient de conversion en énergie primaire : le cas de la RT 2012

Texte de transposition de la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010, la règlementation thermique applicable aux constructions neuves, dite « RT 2012[5] », a été élaborée dans un contexte de remise en cause de la position dominante de l’électricité sur le secteur de la construction neuve et d’hostilité des pouvoirs publics envers le chauffage électrique, régulièrement accusé de contribuer à la pointe électrique.

Le coefficient de conversion en énergie primaire imposé aux logements électriques par la RT 2012 a ainsi joué un rôle certain dans la chute constatée[6] du nombre de constructions électriques neuves en France, sa valeur étant de 2,58 pour ce type de bâtiments contre 1 pour les autres énergies (gaz, fuel, bois, énergies renouvelables, …)[7]. La consommation énergétique annuelle maximale autorisée par la RT 2012 étant fixée à 50 kWhep/m²/an[8], cela signifie que ce plafond est en réalité de 19,4 kWh/m²/an pour les logements électriques contre 50 kWh/m²/an pour les logements alimentés par d’autres sources d’énergie.

A titre de comparaison, la règlementation thermique précédente (RT 2005), si elle prévoyait déjà un coefficient de 2,58, différenciait le plafond autorisé des consommations des logements construits en fonction du type d’énergie utilisé (ex : en zone H2, la consommation maximale autorisée était de 110 kWh primaire/m²/an pour les combustibles fossiles et de 190 kWh/m²/an pour l’électricité). Le plafond de consommation étant commun, dans la RT 2012, à toutes les sources d’énergies disponibles, on comprendra les difficultés des professionnels du bâtiment pour construire des logements électriques respectant les dispositions de la RT 2012.

La « réussite » de la RT 2012 dans l’atteinte des objectifs poursuivis par ses auteurs a cependant été obtenue au prix de la mise au second plan de problématiques pourtant majeures : (1) l’énergie électrique, quelle que soit sa source, a besoin de constructions adaptées à son utilisation d’où la nécessité de ne pas brider l’émergence de l’électricité durable en imposant trop de restrictions aux bâtiments électriques ; (2) de nombreux progrès techniques ont été accomplis depuis « l’ère des grille-pain » des années 1970 (pompes à chaleur, systèmes de pilotage intelligents…) et ont permis au chauffage électrique d’accroître considérablement ses performances et de constituer une solution viable or, la chute du nombre de logements électriques impacte nécessairement son développement ; (3) les énergies renouvelables n’étant pas encore en mesure de remplacer l’électricité classique, la chute du nombre de logements électriques en France profite inévitablement aux solutions fossiles importées, pourtant fortement émettrices de gaz à effet de serre[9] ; (4) l’explosion des usages spécifiques de l’électricité rend nécessaire l’émergence de solutions techniques capables d’y répondre de façon optimisée.

Les pouvoirs publics français face aux effets non anticipés du coefficient de conversion en énergie primaire


Le contexte actuel n’est plus le même que celui qui avait cours au moment de l’élaboration de la RT 2012 : le nombre de logements construits chaque année en France est en chute libre, le gouvernement de Manuel Valls a pris conscience de l’impact négatif que pouvaient avoir la complexité et la multiplication des normes et règlementations sur le secteur du bâtiment, la crise ukrainienne a souligné l’importance de réduire la dépendance des Etats membres vis-à-vis des solutions fossiles importées et le sujet de la réduction des émissions de gaz à effet de serre est devenu un enjeu majeur depuis que la France a été choisie pour accueillir la 21ème Conférence des parties à la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (« Paris Climat 2015 »).

Plusieurs mesures ont donc été récemment annoncées ou prises par les pouvoirs publics français pour tenter d’apporter des réponses aux problématiques posées par la RT 2012 : (1) un « label environnemental », censé atténuer les déséquilibres constatés, devrait être lancé en 2015 ; (2) le projet de loi de transition énergétique pour la croissance verte comporte désormais, suite au dépôt d’amendements en 1ère lecture par des députés socialistes[10], l’obligation pour le CSTB[11] et la DHUP[12], principaux auteurs de la RT 2012, de mieux prendre en compte les problématiques des acteurs du bâtiment[13] et avance à 2018 l’introduction d’une modulation CO² au sein de la règlementation (au lieu de 2020)[14] ; (3) le Premier Ministre Manuel Valls a annoncé, au cours d’un colloque organisé par la Fédération Française du Bâtiment (FFB) le 24 novembre 2014, la prorogation au 1er janvier 2018 de la dérogation accordée aux logements collectifs pour se conformer aux exigences de la RT 2012[15].
Cependant, aucune mesure portant directement sur le montant du coefficient de conversion en énergie primaire n’a, à ce jour, été annoncée ou prise. A noter que ce coefficient fait partie de la méthode de calcul de la performance énergétique des bâtiments[16] devant être régulièrement mise à jour par les Etats membres, en vertu de l’article 4 de la directive 2010/31/UE du 19 mai 2010, pour prendre en compte « les progrès techniques réalisés dans le secteur du bâtiment ». La portée de cette obligation doit cependant être mesurée avec précaution : si les Etats membres sont tenus de modifier la méthode de calcul au plus tard tous les cinq ans, ils restent maîtres de la méthode d’élaboration du coefficient de conversion en énergie primaire[17].
Le droit de l’Union européenne ne saurait donc faire obstacle à l’ajustement du coefficient de conversion en énergie primaire au cas où le gouvernement français déciderait d’y procéder, compte tenu du contexte actuel.

Et le consommateur dans tout ça ?


Si ce débat est crucial, au regard de ses conséquences économiques, énergétiques, environnementales et technologiques, il ne doit pas non plus conduire à la relégation au second plan de l’intérêt du consommateur.

Comme l’a rappelé Dominique Ristori, Directeur général pour l’énergie au sein de la DG énergie de la Commission européenne, au cours de l’atelier débat du 25 novembre 2014 organisé par l’association « Equilibre des énergies » (EdEn) sur « La politique européenne de l’énergie face au défi du changement climatique », la notion d’énergie primaire reste particulièrement obscure pour le consommateur. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne réfléchit actuellement à la possibilité d’instaurer des indicateurs de référence communs aux Etats membres, le raisonnement en énergie finale paraissant, selon Dominique Ristori, le plus adéquat pour la bonne information des consommateurs (ceux-ci ne pouvant se fier in fine qu’à la quantité d’énergie affichée sur leur compteur pour évaluer leur consommation).
Dans l’attente d’une potentielle évolution sur ce point, les seules informations concrètes fournies aux ménages, au moment de l’achat ou de la location d’un logement, le sont en énergie primaire, au moyen d’un diagnostic de performance énergétique[18] (DPE) encore perfectible pour l’ancien et dont l’existence dans le neuf est largement questionnable (quel intérêt d’un DPE pour un logement neuf déjà censé répondre aux dernières exigences thermiques ?).
Il nous semble donc nécessaire de trouver deux compromis : le premier portant sur la fixation d’un coefficient de conversion en énergie primaire suffisamment ambitieux pour réduire la consommation énergétique du bâtiment sans pour autant brider (1) le développement de technologies capables de satisfaire, de façon optimisée, la demande croissante des consommateurs en matière d’usages liés à l’électricité et (2) l’émergence de l’électricité durable dans le logement ; le deuxième axé sur la mise en place d’un critère de référence permettant une comparaison objective entre les différentes sources d’énergies principales utilisées dans le bâtiment tout en restant accessible pour le consommateur, quelles que soient les situations (logements neufs/existants).

[1] Point 2 de l’annexe I de la directive n°2010/31/UE du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments.

[2] 5) de l’article 2 de la directive n°2010/31/UE du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments.

[3] Si l’Union européenne propose un montant standard de 2,5 dans l’annexe IV de la directive n°2012/27/UE du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, la même annexe prévoit que « les Etats membres peuvent appliquer un coefficient différent, à condition de pouvoir le justifier ».

[4] L’Union européenne propose, dans le cadre de l’annexe IV de la directive n°2012/27/UE du 25 octobre 2012 relative à l’efficacité énergétique, un coefficient de conversion standard d’une valeur de 2,5 pour l’électricité. Le coefficient de 2,5 signifie que l’Union européenne estime qu’il faut 2,5 kWh d’électricité pour produire 1 kWh consommable par l’usager soit 60% de pertes entre le processus de transformation et la consommation réelle.

[5] Ensemble de textes composé notamment du décret n° 2010-1269 du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et à la performance énergétique des constructions, de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments et de l’arrêté du 30 avril 2013 portant approbation de la méthode de calcul Th-BCE 2012 prévue aux articles 4, 5 et 6 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments.

[6] Voir également les chiffres relevés par l’institut de sondage BatiEtude pour le 1er semestre 2014.

[7] Article 15 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments. Les opposants au texte argueront que le coefficient de 1 affecté aux autres sources d’énergies est incorrect, ces dernières devant également être extraites, transportées vers le lieu de consommation et parfois même faire l’objet d’une opération de transformation.

[8] Article 11 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments.

[9] La Commission européenne a rappelé, dans ses communications des 10 novembre 2010 (COM/2010/639) et 15 décembre 2011 (COM/2011/885) sur « Énergie 2020 : Stratégie pour une énergie compétitive, durable et sûre » et « Feuille de route pour l’énergie à l’horizon 2050 », le rôle moteur de l’électricité dans la décarbonisation du territoire de l’Union européenne et insisté sur le fait que le nucléaire restait, selon elle, « une source essentielle de production d’électricité à faible intensité de carbone ».

[10] La poursuite de l’examen parlementaire du texte aura lieu au Sénat en février 2014.

[11] Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.

[12] Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages.

[13] Articles 4 bis A, 4 bis B et 5 bis B du projet de loi.

[14] Article 5 du projet de loi.

[15] Article 12 de l’arrêté du 26 octobre 2010 relatif aux caractéristiques thermiques et aux exigences de performance énergétique des bâtiments nouveaux et des parties nouvelles de bâtiments : aujourd’hui, les logements collectifs neufs bénéficient d’une tolérance relevée en ce qui concerne la consommation énergétique maximale autorisée soit 57 kWh/m²/an au lieu de 50 pour les autres types de logements. La dérogation était initialement censée prendre fin le 1er janvier 2015.

[16] Règlement délégué n°244/2012/UE du 16 janvier 2012 complétant la directive n°2010/31/UE du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments : le paragraphe 4 du point 3 de l’annexe du règlement rappelle que « les Etats membres calculent la consommation d’énergie primaire résultante à l’aide des facteurs de conversion établis au niveau national. Ils communiquent ces facteurs de conversion en énergie primaire à la Commission dans le rapport visé à l’article 6 du présent règlement ».

[17] Voir note précédente.

[18] Article L134-1 et suivants du Code de la construction et l’habitation.

Tribune rédigée avec la collaboration de Antoine Vitela.

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